Dans le
papier précédent, nous avons vu que producteurs et consommateurs ont en quelque
sorte les mêmes intérêts. Des clients satisfaits permettent de se prémunir
contre les assauts de la concurrence et d'accroître les bénéfices – lesquels
garantissent la survie de l'entreprise. N'est-il pas vrai, comme d'aucuns le soutiennent,
que “les clients heureux font les entreprises gagnantes” ?
Les clients
à fort
potentiel
L'époque
n'est pas lointaine où Xerox (copieurs, fax, imprimantes...) reculait
devant Canon. Ses dirigeants avaient senti la nécessité de renouer avec
les clients, quitte à renoncer temporairement aux profits. Son président disait
sans ambages : “L'une de nos erreurs a été de penser que nous avions trois
objectifs d'égale importance : améliorer le rendement des actifs, accroître la
part de marché et améliorer la satisfaction de la clientèle. Je refusais de
séparer ces trois objectifs. [... Aujourd'hui, j'ai] compris que pour
aboutir à un changement culturel, il fallait considérer le client comme le
point de départ de toutes choses”. (1)
Ce n'est pas à dire pour cela qu'il
faille choyer tous les clients et se conformer tous azimuts à tous les désirs.
D'une part, pour que les attentes identifiées acquièrent une grande force, il
importe de considérer leur importance respective. Cela évite de perdre
du temps (de l'argent) à améliorer des aspects auxquels le client accorde peu
d'importance. Ainsi, un indice de satisfaction (révélé lors d'une enquête)
n'est intéressant que si les notes attribuées à un produit sur des critères de
choix donnés sont pondérées par l'importance (le poids) qu'accorde le client
réellement à chacun de ces critères.
D'autre part, toutes les catégories
de clients ne se valent pas. Pour reprendre une expression plaisante, “tous
les consommateurs ne sont pas nés égaux”. (2) L'entreprise se
doit de canaliser ses efforts vers les éléments à fort potentiel,
ceux du peloton de tête. “Selon le principe de Pareto, les 4/5e des
bénéfices d'une société sont générés par 1/5e seulement de la
clientèle. L'idée est donc d'identifier cette catégorie active de clientèle et
de cerner ses habitudes afin de mettre en place un marketing plus efficace et
ciblé”. (3)
Une enquête effectuée, en octobre
2000, par Le Petit Poussin (filature et bonneterie, Casablanca) auprès
de sa clientèle à l'étranger, révèle que 69 % sont “mécontents”. Ce
chiffre, a priori alarmant, ne saurait occulter, parmi les répondants
satisfaits, la présence de clients comme La Redoute et Camaieu,
dont les achats avoisinent respectivement 907 kDH et 566 kDH, alors que parmi
les mécontents de nombreux clients se situent en de-ça de 10 kDH, comme Creeks,
Kimai, Auchan ou Spot. (4)
On ne saurait assurément se focaliser
sur les desiderata de clients qui génèrent peu de profit (sans parler de
ceux qui contribuent négativement au résultat). “Ainsi, le patron d'une
agence bancaire recueillera en masse les réclamations sur les files d'attente
aux guichets, alors que ses clients les plus rentables traitent la plupart de
leurs affaires au téléphone. Investir dans de nouveaux guichets fera peut-être
monter le taux de satisfaction, mais fera, en définitive, chuter les profits”.
(5)
Considérons
le plan annoncé en avril 2001 par les plus grands opérateurs européens de
téléphonie mobile pour rehausser leur seuil de rentabilité. Il s'agissait
d'augmenter les prix des packs prépayés en moyenne de 150 dollars et à moyen
terme de se défaire totalement des clients du prépayé, un segment jugé très peu
rentable, voire déficitaire. Au Maroc, notons-le au passage, l'essentiel de la
clientèle est en prépayé. Les deux opérateurs de la place vont-ils supporter
cette situation encore longtemps ?
Cela dit,
l'impératif de rentabilité n'empêche pas une implication résolue dans des
actions à caractère social.
Le marketing à visage humain
L'entreprise
s'efforce d'atteindre ses objectifs, tout en assumant une certaine responsabilité sociale. Elle ne peut
espérer bien fonctionner dans une société qui fonctionnerait mal. La conscience
sociale, la cause défendue par une marque deviennent (surtout dans les pays
économiquement avancés) un paramètre important dans la décision d'achat. Quelle
est la contribution de l'entreprise à la situation de l'emploi, à la lutte
contre la pauvreté ? Son activité favorise-t-elle le bien-être individuel et
collectif ? Le pays d'où provient le produit respecte-t-il les droits de
l'homme, consent-il au travail des enfants ?...
Les
opérations humanitaires sont légion. Le Crédit du Maroc a, en mai 2002,
participé activement à la collecte de sang organisée par le Club Rotaract
Casa-Anfa. Depuis cinq ans, à l'occasion du mois de Ramadan, Unilever (détergents,
shampooings...), à travers sa marque Omo, collecte des vêtements usagés,
les lave et les met en état, en vue de leur distribution aux personnes
indigentes. La totalité des moyens et frais de logistique nécessaires à la mise
en œuvre de cette opération (appelée “Cœurs généreux”) est prise en
charge par l'entreprise. La collecte des dons est assurée par les hypermarchés Marjane.
En
2002, cinq entreprises marocaines ont remporté le prix de la citoyenneté (AmCham-CGEM)
: Cooper Maroc (médicaments), qui s'est engagée résolument en faveur de
la formation professionnelle ; BMCE Bank, pour le financement de bourses
au profit des étudiants et pour son projet de construction d'écoles dans les
zones rurales ; Microsoft Afrique du Nord, pour le don de logiciels, le
soutien financier à une organisation de bienfaisance et le programme de
reconversion des jeunes diplômés à l'informatique ; Crédit Agricole,
pour son engagement dans une campagne de sensibilisation à la scolarisation des
enfants ainsi que pour les produits et services qu'il a dédiés au monde rural ;
Maroc Telecom, pour son soutien à des activités culturelles, artistiques
et médicales...
Pour
amuser et redonner le sourire aux enfants malades, La Vache qui rit
(fromage fondu) a effectué, durant le mois de Ramadan 2002, une tournée de
spectacles (animés par un clown et un magicien) à travers les hôpitaux de 18
villes du Maroc. Au même moment, McDonald's a organisé une campagne de
collecte de dons à l'occasion de la Journée mondiale des enfants. L'opération
est réalisée en collaboration avec l'Association Marocaine des
Villages d'Enfants SOS. Sur un autre registre, Lafarge-Maroc
(ciment) a pris conscience de l'impact de la dimension sociale sur sa relation
avec le personnel. De là, les campagnes d'alphabétisation, les mesures prises
pour diminuer le nombre d'accidents, l'accompagnement des employés désirant
créer des micro-entreprises (soutien financier, conseils techniques, suivi). (6)
Ces
entreprises ont témoigné de la volonté d'adhérer aux préoccupations sociales et
économiques du pays. Leurs actions, si elles visent à terme des retombées
favorables – profit, image sympathique et valorisante – servent tout de même au
passage les bonnes causes. Peut-on le nier ?... Mais attention, l'éthique paie,
à condition qu'elle soit certaine et effective, qu'elle ne soit
pas un simple coup médiatique. Si un fabricant annonce son soutien à une
opération humanitaire, il faut qu'il s'y implique réellement. En s'engageant,
il signe une charte.
Un
marketing à visage humain, responsable de ses actions envers la société, ne
saurait faire abstraction de la détérioration de l'environnement. Déverser des produits polluants dans
l'océan ou les rivières peut s'accorder avec l'exigence de rentabilité, mais le
milieu naturel en subit lourdement les conséquences. Le “coût environnemental”,
qui n'est pas inscrit dans les registres de comptabilité, se répercute sur la
communauté entière. L'écomarketing
(comme le préfixe l'indique) tient compte spécifiquement du problème
écologique.
La
pollution de l'air, de l'eau, du milieu urbain, des océans et même de
l'ionosphère est liée directement ou indirectement à la consommation. Au Maroc,
les petits sacs en plastique – qui répondent à un besoin – posent un problème
écologique sérieux : ils ne sont ni recyclables, ni biodégradables. Une
conscience collective des enjeux de la préservation de la nature se développe.
Ici ou là, des fabricants s'efforcent de tenir compte des nuisances
occasionnées par l'acte de production. Ils sont incités à adopter des
technologies non polluantes, à réparer tant bien que mal les dégâts causés à l'environnement.
Les industries chimiques et para-chimiques, en particulier, mettent en place
progressivement des installations d'épuration et des décharges pour leurs
déchets.
Les actions
s'inscrivant dans cette optique ne datent pas d'hier. Dès 1998, la protection
de l'environnement était l'un des points majeurs du programme présenté par l'Association
Professionnelle des Cimentiers (APC). Il était question, entre autres,
de mettre en place des instruments de réduction graduelle de l'émission de poussières
et de la pollution atmosphérique...
Au total, un mouvement de moralisation du
monde des affaires semble prendre naissance. Le marketing, tout en cherchant à
coller au marché, à créer des produits et à bâtir une image de marque, tend à
s'imprégner des valeurs morales et sociales de l'heure.
Une entreprise focalisée sur la création de
valeur et la rentabilité est à même d'agir en faveur du citoyen et de la
société. Sa mission n'est pas seulement de produire des biens et services
(compte tenu de la rentabilité attendue) ; il lui incombe de contribuer à
l'amélioration de la qualité de la vie, d'aller en quelque mesure dans le sens
du bien-être collectif. Elle œuvre pour la réalisation de ses objectifs, tout
en endossant une part de responsabilité
sociale.
Thami Bouhmouch
Extraits
de l’article publié in Cahiers de recherche en management
(CRESCA, Casablanca), volume I, n° 1, décembre 2006.
__________________________________________
(1) R. Whiteley et D.
Hessan - Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients,
Maxima 1997, p. 286.
(2) G. Hallberg – in L'Expansion Management
Review, juin 1999, p. 29.
(3) S. Robson et J. Barennes - Un exemple
anglais de fidélisation, Banque magazine, juillet-août 1999,
p. 24.
(4) Documentation
interne Le Petit Poussin, 2000.
(5)
Frederick F. Reichheld - Intéressez-vous aux
clients qui vous lâchent, L'Essentiel du Management, juillet 1996.
(6) Cf. les premières
assises sur la responsabilité sociale de l'entreprise au Maroc, organisées par
l'Association des Gestionnaires et Formateurs de Personnel (AGEF), à Casablanca
en février 2004.
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