L'entreprise
n'est pas uniquement des bâtiments, des machines et une activité organisée de
production. Loin d'être un ensemble de rouages automatiques, c'est un construit
humain, un système social où les relations ne sont pas seulement
rationnelles mais aussi affectives. C'est avant tout des hommes, des hommes qui
doivent être regardés comme des êtres concrets, faillibles
et soucieux de leurs intérêts.
Les
ressources humaines, après avoir été longtemps tenues pour une variable
d'ajustement, entrent en ligne de compte comme un paramètre stratégique. « Le
nerf de la guerre [...], ce n'est pas l'argent, ce sont les hommes. L'entreprise,
ce n'est pas l'entrepreneur, ce n'est même pas un "staff", un
collectif de cadres dirigeants. Il faut remettre la pyramide à l'endroit ».(1)
De là,
travailler avec des salariés, c'est d'abord coopérer pour atteindre ensemble un
but.
Coopérer en vue d'un but
Les
capacités d'adaptation et de réaction de l'entreprise dépendent de la collaboration
et de l'implication totale du personnel. Les individus sont capables de
se dépasser pour une cause, pour obtenir quelque chose en quoi ils croient. Une
vision claire est susceptible de les rassembler. Chacun est au courant des
défis à relever et accepte d'y prendre une part active. On se rappelle qu'en
1995, au moment où la RAM
recentrait sa stratégie sur le client, son PDG s'engageait à tout expliquer “dans
les moindres détails à l'ensemble des salariés”. La transparence semblait
régner au sein de la compagnie (communication des résultats financiers). Le but
était de faire adhérer le personnel aux objectifs de l'entreprise.
Un employé est toujours un
membre actif. Quel que soit son niveau hiérarchique, il a besoin de faire appel
à son intelligence et à sa créativité. Il ne s'agit pas là d'une idée
romantique. Comme l'explique un psychologue, « le salarié a besoin de
s'impliquer dans le travail qu'il réalise. Le fonctionnement psychique de
l'homme ne lui permet pas d'être un simple exécutant ».(2)
A mon sens, l'application la plus efficace,
la plus accomplie d'un plan d'action dépend moins de son degré de perfection
que de la volonté, des attitudes des hommes qui sont chargés – à tous les
niveaux – de le mettre en œuvre. Il y a donc lieu de parier sur les acteurs
plus que sur les choix stratégiques. La boutade d'un patron d'entreprise mérite
mention : « Si jamais j'oubliais notre plan stratégique dans un avion,
cela n'aurait aucune importance. Personne ne pourrait l'exécuter. Notre
réussite n'a rien à voir avec la planification. Elle dépend de l'exécution ».(3)
Les
injonctions du genre "n'y a qu'à" ou "faut qu'on" ne
parviennent jamais à enflammer les enthousiasmes. Un professionnel l'a bien
fait remarquer : « Vous pouvez tendre une carte à votre équipe et lui
ordonner d'escalader la montagne. Ou bien vous pouvez lui fournir une boussole
et le matériel approprié, lui donner envie de grimper et l'inviter à vous
accompagner ».(4)
La démarche marketing est
particulièrement appropriée à la mobilisation des membres de l'entreprise ;
elle peut s'appliquer en interne pour convaincre les différentes catégories du
personnel d'adhérer à un projet ou un objectif, s'assurer de leur accord
profond sur les moyens et les types d'action à mettre en œuvre. Le marketing
prend en considération de manière ambitieuse l'activité commerciale de
l'ensemble du personnel. Il met en valeur le rôle des ressources humaines et de
la motivation des hommes. Il se doit de communiquer par le dialogue avec les
salariés, de favoriser leur implication, de vaincre les résistances, afin de
créer des comportements nouveaux. De la sorte, l'employé devient un client
privilégié, il faut être à son écoute.
L'écoute des clients internes
Les
salariés sont censés créer de la valeur ajoutée pour les clients externes.
C'est une pièce maîtresse dans le puzzle de la démarche marketing. La satisfaction
du client externe est un but qui ne peut être atteint que par la participation
de tous : le commercial, l'ouvrier, la téléopératrice, le comptable...
L'entreprise moderne sait s'adapter aux besoins du marché et moduler son
organisation en conséquence. Le dirigeant s'informe sur ses clients autant que
sur ses collaborateurs. L'apport simultané de valeur aux uns et aux autres
n'est en rien conflictuel.
Le
développement de l'entreprise passera de plus en plus par l'épanouissement
personnel des individualités. C'est une nécessité économique. Les employés ont
une obligation de résultat et le résultat doit être bon. Le fait qu'ils soient
contents de venir au travail, qu'ils soient mobilisés autour du concept de
service à la clientèle confère un avantage concurrentiel considérable. Mobil
Maroc semble l'avoir compris qui, en juillet 2000, s'est dotée d'une charte sur
le harcèlement moral et sexuel. L'idée, entre autres, est désormais d'éviter
d'élever la voix sur un collaborateur ou un collègue, de claquer la porte pour
manifester son désaccord, de faire les yeux doux à une femme...
Un point est hors de doute : si l'employé n'est pas satisfait, il répercute son mécontentement sur les clients. Sa morosité et son ressentiment transparaissent constamment dans ses interactions avec ces derniers. Il appartient aux dirigeants de mettre en place un système d'intéressement qui satisfait l'ensemble du personnel. En fait, il ne suffit pas d'offrir un "bon" salaire pour que les acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes. Il importe de leur assurer un "package" d'avantages tangibles et intangibles suffisants, de reconnaître leur participation dans le succès de l'organisation pour laquelle ils s'impliquent.
Alors la
question inévitable se pose : qu'en est-il au Maroc ?
Mal-être
et inefficacité
Les
vérités valent d'être exprimées sans détour. Dans les entreprises marocaines,
où les employés vivent les difficultés et les tourments au quotidien, le
discours sur les valeurs, les objectifs et même la satisfaction du client est perçu
comme une préoccupation intellectuelle lointaine.
Le système, bâti sur l'autorité
paternaliste et la notion de territoire, est source de mal-être et
d'inefficacité. Les structures sont de type militaire, avec une cascade de
niveaux hiérarchiques. Les salariés sont réduits à des tâches d'exécution,
constamment placés en situation d'infériorité. Leurs supérieurs sont
inaccessibles, oeuvrent pour davantage de pouvoir, un plus gros salaire, un
bureau plus vaste. Les collègues sont perçus comme des concurrents. D'instinct,
ils sont combattus, contrecarrés, écartés.
Comment
une structure pourrait-elle évoluer dans un système de non-contestation ?
L'analyse de l'erreur y est-elle possible ?
Il ne
suffit pas d'organiser quelques réunions et scander des slogans à la gloire du
client. Le moral des employés exerce une influence déterminante sur le
rendement du travail. On ne fait pas fonctionner une entreprise par diktat. Il
s'agit de faire avec toutes les personnes concernées, pas contre, ni en dehors.
Le mépris hiérarchique est destructeur : c'est avec des gens debout, non avec
des gens courbés qu'on construit une organisation.
Les
employés se donnent au travail parce qu'ils sont convaincus. Leur attitude se
propage aux publics externes. S'ils sont transformés en soldats de plomb, ils
ne peuvent écouter la voix des clients.
Thami BOUHMOUCH
Article paru dans le périodique le Journal (Casablanca) du 30 mars 2002.
_______________________________________________________
(1) Alain
Etchegoyen, Les entreprises ont-elles une âme ? éd. F. Bourin 1990, p. 131.
(2) Ghita
Mseffer, in La Vie Economique du 7/12/01.
(3) Cité
par R. Whiteley et D. Hessan, Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd.
Maxima 1997, p. 239.
(4) Anonyme,
voir ouvrage ibid., p. 278.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire