Après les évènements du 11 septembre, l'idée a
prévalu que la première puissance mondiale allait réaliser que sa stabilité
pouvait être ébranlée et son ascendant vaciller en dépit de son omnipotence
politique, de son agence de renseignements et de son bouclier anti-missiles.
On avait commencé à espérer (avec un brin de naïveté) que les
instances dominantes allaient devenir plus sensibles aux injustices profondes
qui flétrissent l'humanité. On s'était mis en tête que ces instances allaient
s'interroger sur le pourquoi des actes perpétrés, sur les raisons qui poussent des
hommes, souvent dans la fleur de l'âge, sur la voie de la violence et du
jusqu'au-boutisme.
L'attitude hautaine des dirigeants américains à l'égard des
peuples démunis et opprimés suscite l'indignation et l'hostilité. Ce sont toujours
les mêmes qui pâtissent du "droit de veto" à l'ONU, du précepte
infâme du deux-poids deux-mesures.
L'opinion internationale a fini hélas par s'y habituer. L'homme de la rue a
l'impression que les Arabes sont aujourd'hui "punis". Parce qu'ils
ont émis des réserves sur la définition du terrorisme et ont refusé d'y inclure
les actes de résistance contre l'occupation, ils ont fait l'objet d'une
campagne médiatique hostile. Parce qu'ils ont osé dire non à l'idée d'une
nouvelle agression contre l'Irak, le feu vert a été donné à Sharon pour mettre
en œuvre son programme d'extermination.
Au fait, pourquoi
s'acharner sur Milosevic au tribunal de La Haye ? Ses actes criminels en Bosnie et au Kosovo
sont-ils plus ignobles que ceux que Sharon, Moufaz et Ben Elliazer ont perpétrés récemment à Jenine et à Ramallah ? Y aurait-t-il des génocides moins
acceptables que d'autres ?
Les
aveux de l'histoire
Les Etats-Unis qui
assument plus que jamais le rôle de "Satan" sur la scène
internationale, ont l'aplomb de parler de combat du "Bien" contre le
"Mal". Du temps de Reagan on tenait le même discours réducteur : le
Bien devait triompher mordicus du Mal. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes
contre nous. Comment croire à une telle baliverne : n'est-ce pas avec l'arsenal
fourni par les responsables américains et leur soutien insolent que les
exactions et carnages sont commis périodiquement dans les villes et camps
palestiniens ?
Laissons de côté un
instant notre pusillanimité face à l'absolutisme américain et examinons les
faits.
L'observation du présent,
en effet, nous conduit à une évocation troublante du passé, à une longue suite
d'exploits inavouables. Au XIXè siècle, la politique des États-Unis envers les
Amérindiens fut impitoyable : guerres indiennes, déportations, massacres,
dévastations des territoires et de leurs ressources, spoliation (Indian Removal
Act de mai 1830, Homestead Act de 1862), alliances non respectées... Peu après
la guerre de Sécession, l'organisation terroriste Ku Klux Klan entre en action.
Raciste et très violente, elle est interdite en 1877, puis recréée en 1915. Ses
membres croyaient à la suprématie blanche et en l'infériorité innée des Noirs.
Ils ne purent jamais accepter que d'anciens esclaves puissent accéder à
l'égalité civique et à des fonctions politiques. Ils semèrent la terreur,
empêchaient les Noirs de voter, d'occuper un poste et d'exercer leurs droits
politiques récemment acquis (en 1865). Les victimes étaient flagellées,
mutilées ou lynchées.
L'histoire ne saurait
oublier les 180.000 victimes à Hiroshima et à Nagasaki (la bombe atomique
lancée sur la première ville avait une puissance supérieure à celle de 20.000
tonnes de TNT). Les Japonais étaient persuadés que les soldats américains
étaient cruels et sanguinaires. On se remémore aussi les bombes au napalm
déversées sur le Vietnam. Le napalm, qui avait pour effet d'absorber l'oxygène,
provoquait des brûlures atroces. Ajoutons à ce tableau de chasse prestigieux le
coup d'état militaire contre le
président chilien Allende. Nul n'ignore que de 1971 à 1973, la CIA apportait un soutien
financier aux opposants du régime socialiste.
Que dire du génocide
insupportable perpétré sous nos yeux en Irak depuis 1990 ? Comment peut-on se
décider à bombarder des monuments millénaires (l’histoire ancienne de l’Irak se
confond avec celle de la
Mésopotamie ), à lancer des missiles sur des abris (et brûler
vifs des centaines de citoyens) ? Dans le feu de l'action, les militaires ont
oublié qu'un abri est un local destiné à protéger la population civile. Que
faut-il penser des bombardements arrogants et irresponsables des objectifs
civils en Libye (1986), d'une fabrique de médicaments au Soudan, etc. ? Les
Huns et les Goths étaient-ils plus dévastateurs ?
La
démesure, expression du désespoir
A bien y réfléchir, l'administration américaine n'a
aucunement une attitude humaine à l'égard des peuples qu'elle a décidé de vouer
aux gémonies, ni la moindre idée de l'ampleur de leurs souffrances et de leur
ressentiment. Elle n'hésite pas à se ravaler en multipliant les éloges en
direction de Sharon, devenu "homme de paix" en dépit de ses mains
maculées de sang. Elle s'arroge le droit de statuer sur la légitimité du
Président Arafat, de le déclarer récusable. Il s'agit, comme chacun sait, d'un
chef historique et d'un président élu. Les Américains, de toute évidence, n'ont
pas à mettre leur nez dans la question du leadership palestinien.
Les faits n'admettent aucune équivoque : les Etats-Unis sont
corps et âmes acquis à la cause sioniste. Tous les responsables pour ainsi dire
justes et impartiaux sont systématiquement écartés des pôles de décision, notamment
dans les Affaires étrangères et dans les centres de recherches sur le
Moyen-Orient. Quant à la population américaine, elle est connue pour sa candeur
et sa mauvaise perception des événements qui se déroulent au-delà des
frontières. Manifestement, elle ne comprend pas le problème palestinien et se
laisse facilement mystifier par les médias tendancieux qui prédominent.
Les dégâts terribles du 11 septembre semblent avoir modifié
la psychologie américaine, mais dans quel sens ? Eradiquer les causes du drame
ne se limite pas à démanteler un réseau, à supprimer physiquement des activistes,
à inscrire des pays et des organisations sur des listes. La violence répond à
la violence et la démesure est toujours l'expression
du désespoir. Ce sont des symboles, notons-le, qui ont été attaqués (à
New York et Washington). Il ne suffit pas d'exécrer les auteurs des attentats,
de s'interroger sur leurs sources de financement. Il est impératif de comprendre
la cause pour laquelle ils ont
décidé de sacrifier leur vie. Détruire Kaboul est relativement facile, mais ne
sert à rien. Tel pays est "puni", mais le problème reste entier. L'adversaire n'a ni Etat, ni
frontières.
Les Etats-Unis sont devenus comme un lion blessé. Ils se
demanderont encore longtemps pourquoi ils sont abominés.
T.
Bouhmouch
Article
paru dans le périodique La Vérité (Casablanca) du 28 juin-4 juillet 2002.
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