L'entreprise – lieu de créativité
par excellence – ne saurait attendre que le consommateur potentiel s’exprime, pour
ensuite répondre à ses désirs. Centrer l’attention sur les produits demandés par le marché au
détriment de produits suscités par la technologie comporte un risque mortel,
celui de bloquer l’élan d’innovation. Certes, les managers sont constamment à
l’écoute du marché et y puisent leurs idées, mais tout le mérite du travail
accompli revient aux efforts d’imagination et de créativité. (1)
De nos jours, le progrès technique a
une influence grandissante et sa courbe s'élève presque verticalement. A
l’échelle du monde, l’intensification des échanges, la circulation instantanée
de l’information et la rapidité de diffusion de la culture technologique font que
les entreprises vivent sous une pression concurrentielle sans précédent. L’innovation
– tangible et intangible – n’est
plus l’exception mais la norme. Elle est devenue la forme moderne de la compétition,
prend une allure industrielle, devient l'élément clé de la puissance économique.
Au Maroc, 9,3 millions de cartes bancaires ont été mises en circulation en 2012,
soit 16 % de plus qu’en 2011. C’est presque 20 fois plus qu’en 2000, année où leur
nombre n’excédait pas 500.000. (2) Une
entreprise comme 3M réalise quelque 30 % de son chiffre d'affaires avec des
produits lancés au cours des deux ou trois années précédentes.
La création scientifique et
technique génère en permanence des opportunités commerciales, crée de nouveaux
marchés, remet en question les positions acquises. Les nouvelles idées peuvent
améliorer la position d'une organisation face à ses concurrents, sonner le glas
d'une industrie tout entière au profit d'une autre. Les retournements du marché
provoqués par les avancées techniques sont imprévisibles et parfois brutaux. Toute
entreprise qui se laisse dépasser aujourd'hui risque de le payer lourdement
demain en termes de compétitivité. Il est vrai que les industries ne sont pas
touchées de la même façon et au même degré par le développement technologique.
Dans certains secteurs, comme la micro-informatique et l’audiovisuel, les
innovations envahissent constamment le marché. Les biotechnologies, l'électronique,
la monétique, la robotique et les matériaux nouveaux ouvrent des perspectives
de plus en plus grandes.
Le temps de la Net économie
De la naissance des microprocesseurs en 1971 au lancement
des smartphones il y a sept ans, en passant par l’accès public à Internet en
1991, le progrès
technologique s’accélère à un rythme vertigineux. Il a fallu
attendre trente ans pour que la radio atteigne 50 millions d'utilisateurs dans
le monde, treize ans pour la télévision, mais seulement quatre ans pour le web.
Autant il faut se garder d’attendre
des miracles d’Internet, autant il serait dangereux de s'en priver. Il permet à
l’organisation d’être repérée par ses futurs clients et partenaires, de donner
une image d'elle-même par une extension prodigieuse de son champ de
communication. Au Maroc, il y eut une époque où les sites web étaient considérés
comme des « gadgets marketing » (le site de l'ONA n'a été créé
qu'en 2000). De nos jours, la plupart des entreprises se sont adaptées par
force à la nouvelle réalité : 48 % d’entre elles disposaient d'un site Internet
en 2010, contre 40 % en 2009. Le développement du e-commerce est en train de s’affermir,
sachant que la proportion des entreprises achetant sur internet est passée de 5
à 17 %, que la part de celles vendant en ligne est passée de 6 à 11 %. (3)
Internet, en plus de l’achat et la vente, est utilisé pour la veille technologique
et le benchmarking. Il permet de recueillir l’information dont on a besoin, au
moment où on en a besoin.
La pratique de l'achat en ligne se
démocratise progressivement. Les autorités publiques ont entrepris de « renforcer
la confiance des citoyens dans le commerce électronique par la mise en place
d’un label des sites marchands en partenariat avec les fédérations et la CGEM ».
(4) Depuis 2002, le Comptoir de l'Electroménager, propose à ses
clients de passer leurs commandes par e-mail. Bien avant cette date, la RAM a
commencé à commercialiser ses billets sur son site web. L'assurance s’est aussi mise à l'heure du Net : le site de
RMA par exemple vise à faire connaître la compagnie et vulgariser ses produits
auprès du grand public ; il propose des conseils pratiques et des simulations
personnalisées.
Ce sont les banques qui ont en particulier
découvert les vertus du Web en tant qu'instrument de travail. Crédit du Maroc,
BMCI, BCM (avant sa fusion avec Wafabank) et CIH ont, dès l’an 2000, lancé leur
banque on-line ou « home banking » en proposant les services les
plus courants (informations, ouverture de compte, ordres de virement, simulation
de prêt, conclusion de contrat de crédit, souscription aux SICAV, ordres de
bourse). Une telle évolution, notons-le, n'empêche pas de maintenir les
services « traditionnels », car nombre de clients préfèreront
toujours s'adresser au guichet plutôt qu'à une machine. (5)
Attention : le fait d’avoir
accès à Internet, de disposer d'un site web ne signifie pas obligatoirement
qu'on ait intégré cette technologie dans sa gestion. Quel est l’intérêt
véritable du Net s’il est réservé à la direction générale et à une poignée de cadres ?
De plus, ses atouts ne sauraient se limiter à la messagerie et à la collecte
d’information ; pour qu’Internet devienne un vecteur porteur de richesse,
les nouveaux métiers, tels le e-commerce et la e-publicité, doivent se
développer davantage en s’appuyant sur un plus grand nombre d'internautes.
L'obsolescence des produits s’accélère
L'évolution de la technologie
entraîne une accélération de l'obsolescence
des produits. Ceux-ci sont remis en cause de plus en plus rapidement ; ils
deviennent périmés du fait des évolutions techniques et non par usure matérielle.
Le producteur est condamné à faire évoluer son offre en permanence. Il doit
sans arrêt trouver les fonds nécessaires au financement du remplacement ou de
l'amélioration de ses produits. La technologie provoque une « destruction
créatrice », en ce sens
que le nouveau produit tend à chasser l'ancien. Le n°1 mondial du
drapeau disait : « Quelque part dans le monde, quelqu’un travaille
déjà à préparer le produit qui tuera le mien demain ». (6) L'innovation
implique ainsi une perturbation du paysage commercial ; elle peut engendrer
une activité nouvelle aux dépens d'une autre, créer un nouveau marché en supprimant
(ou menaçant) un autre.
Eclairons cela par quelques
exemples. En plomberie, le PVC a depuis longtemps remplacé le plomb et l'acier
galvanisé. Le détergent en poudre s'est substitué au savon. L'apparition des
micro-ordinateurs et des logiciels de traitement de textes a révolutionné le
travail de secrétariat en éliminant les machines à écrire. La photocopie a tué
le papier carbone. Le courrier électronique, infiniment moins coûteux, est un
redoutable concurrent pour le téléphone et le fax. Le GSM a en partie supplanté
le téléphone fixe. La clé USB et le disque DVD ont chassé respectivement la
disquette et la cassette vidéo. Les encyclopédies électroniques ont largement concurrencées
les encyclopédies sur papier et sur CD-Rom. Le moteur électrique finira un jour
par évincer le moteur thermique (dès qu'on saura stocker suffisamment
d'électricité)...
De fait, l’innovation de rupture
est inévitable. Il n’est pas question de se retrouver dans la situation de
ces constructeurs de diligences qui continuaient jadis à peaufiner leur produit
sans voir arriver l’automobile qui allait les tuer.
L'innovation attire
Dans une grande surface, un habitué d’une
marque donnée découvre une autre sur le rayon : il l'achète… pour « voir ». La nouveauté attire : elle agit sur le consommateur, le détourne
de ses préférences actuelles, introduit une rupture dans ses habitudes. Un
produit nouveau est en lui-même un moyen de communication. La réceptivité du
marché est particulièrement vive aux nouveaux concepts. « Nouvelle
formule », « plus rapide », « plus
résistant », « sans parabène »… tels sont entre
autres les termes utilisés dans les annonces publicitaires ou sur les étiquettes
pour provoquer le changement d'allégeance. S’agissant des produits cosmétiques,
les femmes sont fascinées par la
nouveauté, veulent toujours le dernier
article à la mode.
Les changements techniques introduits
par les uns sont à la fois une menace et une source de développement pour les
autres : ils incitent à pratiquer une politique d'innovation intense, à avancer
en continu. Les défis sont non seulement techniques mais aussi commerciaux :
il faut être en état d’innover, tout en collant aux attentes. Il s’agit à
chaque fois de créer les conditions d'un marché solvable. La survie d'une organisation
dépend très souvent de la vitesse à laquelle elle réagit aux changements. Il importe
alors de mettre en place une veille technologique permanente, de garder un œil
sur les concurrents, de déceler et suivre les nouveautés. N’oublions pas que l'horizon
technologique a un sens très large, car l'innovation peut provenir d'un secteur
éloigné du notre. (7)
L’aptitude à innover suppose la mise
en place d’une structure de recherche. On se doit de faire de la R/D un outil
de gestion, d’y consacrer des budgets
substantiels. Nokia, Bayer et 3M consacrent entre 6 et 8 % de leur chiffre
d'affaires annuel aux activités de recherche. Non seulement le processus
d’innovation doit être orientée vers le marché, mais il doit trouver un bon
écho auprès de tous les employés, dans tous les services. Pour cela, les
structures ne doivent pas être pesantes, bloquer les initiatives. Chacun doit pouvoir
chercher et trouver. Qui plus est, l’innovation peut provoquer des remises en
cause et même des conflits internes. Le personnel vit souvent un dilemme entre
la sécurité et la création. Les méthodes d’hier façonnent les esprits, deviennent
des habitudes confortables (routine). Elles peuvent s’opposer aux attentes de
la clientèle, lesquelles évoluent.
Récapitulons : les
organisations évoluent dans un macro-environnement,
dont la technologie constitue une composante de poids. Celle-ci, influant sur la
demande et l'offre, est à même de modifier les règles du jeu sur le marché. Elle
doit donc être surveillée en permanence, au même titre que les autres composantes.
Thami
BOUHMOUCH
Février
2014
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(1) Cf. l’article : « L'Innovation, une réponse aux besoins
latents » http://bouhmouch.blogspot.com/2011/04/linnovation-12-une-reponse-aux-besoins.html
(4)
Cf. Plan Maroc Numéric 2013 : http://www.egov.ma/Documents/Maroc%20Numeric%202013.pdf
(5)
Ils se trompent
ceux qui pensent hâtivement que la banque électronique sera la banque de
demain. Le home banking reste un produit très élitiste et peu rentable,
vu qu’à l’heure actuelle le marché marocain n’est pas assez bancarisé et le
parc informatique encore insuffisant.
(6) L. Doublet, cité par B. Prouvost, « Innover
dans l'entreprise, les clés pour agir », Dunod 1990.
(7)
Cf. l’article : « Ces
concurrents indirects qu’on gagne à connaître » http://bouhmouch.blogspot.com/2013/10/ces-concurrents-indirects-quon-gagne.html
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