« Ils ne savaient pas que c'était
impossible, alors ils l'ont fait » Mark Twain
Tous les intervenants au sein de
l'organisation s'activent autour d'un projet fédérateur et, à ce titre, sont regardés
comme les premiers clients du marketing... C'est le point examiné ci-après.
D'ordinaire, l'entreprise est perçue
comme une unité économique, un lieu de production, une organisation de vente...
Parfois, elle est même confondue avec ses dirigeants. Or, par-dessus tout, c'est
un microcosme humain, un système social où les interactions ne
sont pas seulement rationnelles mais aussi affectives. Les sujets impliqués
sont mus par des intérêts, des sentiments et des émotions. Ce sont eux qui
règlent le cours de l'organisation et façonnent son destin. La valeur de leur
travail dépend de leurs qualités intrinsèques et de la formation qu'ils ont
reçue ; elle dépend aussi de leurs habitudes mentales, de leur engagement intime
vis-à-vis de l'entreprise, du genre de rapports qu'ils entretiennent avec elle.
Je reprends sur ce point un texte antérieur
: « Les comportements sont
pluridéterminés : rationalités diverses, intérêts immédiats, passions,
dispositions d'esprit, références culturelles se combinent d'une manière
continue. Les processus décisionnels sont concrètement marqués par les
représentations que se font les acteurs des rapports hiérarchiques, par leur
conception du temps, leur vision des choses et des hommes ». (1)
L'implication
du public interne
Dans un monde où les rivalités
s'intensifient, les capacités d'adaptation de l'entreprise dépendent
fondamentalement de la collaboration enthousiaste et résolue des différentes
catégories du personnel. Les batailles de compétitivité sur un marché mondial
ouvert se gagnent avec des troupes mobilisées. La notion de
ressources humaines, selon une formule connue, signifie non pas que les hommes
eux-mêmes soient des ressources mais que les hommes ont des
ressources. Comme le disait à juste titre le patron de Wincor Nixdorf, «
on ne peut rien faire avec de belles solutions sans motivation ».
C'est de motivation positive
qu'il s'agit : le harcèlement, l'intimidation et la menace ne
rendent pas un employé plus productif. La motivation est définie comme une
aspiration qui détermine le comportement, met en mouvement, fait agir. La
boutade de Mark Twain, citée en exergue, l'exprime assez bien. Au delà des
acquisitions techniques, le dynamisme d'une organisation repose sur l'implication
forte et loyale de l'ensemble du
personnel. Il est impératif d'impliquer les partenaires internes réellement,
sans céder à la « réunionnite » – ce
vice qui consiste à faire de la réunion un but en soi.
Le style de management gagne à émaner
de ces préoccupations. L'idée est de mettre en valeur le génie et les
prédispositions du personnel, de tenir celui-ci informé de tout ce qui se
rapporte à l'organisation, de lui permettre d'accéder à la direction générale sans protocole. Le système
d'évaluation doit reposer sur le développement du potentiel, éviter que le
salarié éprouve un sentiment d'injustice.
L'entreprise marocaine en général ne
fait pas l'effort d'impliquer son public interne. Déjà elle est fortement handicapée par quantité de malformations : absence
de frontières nettes entre les responsabilités des uns et des autres, refus de
formuler des règles précises pour traiter des problèmes particuliers, dilution
des discussions lorsqu'elles sont engagées sans que la question ne soit
clairement tranchée, etc.
La réalité observée ne laisse aucun
doute : un clivage subsiste entre ceux qui pensent le travail et ceux qui
l'exécutent. Le patron recrute, déplace, licencie, récompense ou sanctionne
selon ses impressions et son humeur. Il s'adonne à la critique excessive, aux
avertissements et au chantage. Bien entendu, il n'a pas raison en toutes
circonstances, mais les cadres veulent tous être de son avis et surtout se
gardent de le contrarier. Soucieux avant tout de flatter l'ego du chef, ils
finissent par renoncer définitivement à exprimer leurs idées.
L'employé désabusé a tôt fait de
baisser les bras : « je viens ici, dit-il, pour gagner un morceau de pain, pas pour changer le monde ».
Il se ferme à la communication, se focalise sur les rivalités personnelles au
détriment des objectifs. Les conflits sont étouffés ou camouflés, rarement
négociables. Comme le droit à l'erreur est rejeté, la résignation finit par
régner. Le salaire n'a plus qu'un
caractère alimentaire.
Il n'est que de voir cette société
de secours médico-technique à Casablanca où la situation matérielle et morale
des salariés s'est beaucoup dégradée. L'entreprise investit des millions de
dirhams dans l'action de restructuration et de rénovation des systèmes
informatiques, mais ne se préoccupe pas assez du capital humain. Les tâches du
personnel du front line sont très sensibles : secourir un client blessé
ou malade, rapatrier un corps de l'étranger, remorquer une voiture endommagée,
etc. Quels efforts faut-il solliciter d'un employé lésé et désenchanté ?
On entend ici ou là que la stratégie
de l'entreprise du 21ème siècle sera de plus en plus ascendante (bottom-up).
Encore faut-il s'en convaincre et agir en conséquence d'une manière concrète...
Au Maroc, disons-le, on est loin du compte. Une structure pourrait-elle évoluer
dans un système de crainte, de passivité et de non-contestation ? L'analyse de
l'erreur y est-elle possible ? Le fait est que la démarche marketing – par
essence – suppose la participation et la collaboration de tous les membres de
l'entreprise. De là, on peut dire que le
premier client marketing est à l'intérieur de l'entreprise. L'employé est un
client privilégié ; c'est lui qui est chargé (à un niveau ou à un autre)
d'appliquer la ligne stratégique retenue, de réaliser les objectifs tracés.
Tous les acteurs, du patron au camionneur,
se préoccupent de mériter durablement la fidélité du client. C'est lorsque tous
les intervenants – y compris les non-commerciaux – adoptent l'idée de
travailler pour le client que le marketing devient une véritable philosophie
d'entreprise. L'efficacité et la performance passeront de plus en plus par la
motivation tangible des salariés. Le
bon sens suggère qu'un individu motivé a plus de chance d'être performant.
E. Bittar précise toutefois, que motivation et performance sont corrélées, sans
être strictement associées par une relation de cause à effet. Car « la performance
est déterminée en partie par les capacités individuelles du travailleur.
Celles-ci interagissent avec les motivations pour augmenter la performance
». (2)
L'employé
insatisfait produit de l'insatisfaction
L'épanouissement personnel de tous
les acteurs est un facteur décisif. Un PDG a dit un jour : « je suis très
heureux de voir autour de moi des gens heureux dans l'entreprise ». Le
propos ne saurait être mis sur le compte de la démagogie... La fonction ressources humaines est
considérée à juste titre comme le catalyseur des actions futures. Comment
peut-il en être autrement ? A l'évidence, le personnel insatisfait ne peut
produire que de l'insatisfaction. Des individus timorés, méfiants, démotivés ne
se préoccupent que de leur propre survie. Ils
ne voient pas les clients.
On sait que l'actionnariat salarié
permet de fidéliser et de stabiliser le personnel en l'associant davantage au
projet de l'entreprise. La rémunération de l'argent placé étant directement
liée aux efforts fournis, un climat social sain tend à s'instaurer. En
particulier, la pratique des stocks-options (adoptée depuis longtemps par l'ONA,
Alcatel...) est considérée comme un prix d'excellence pour les cadres
performants.
«
On ne se bat pas, on ne s'engage pas, on ne prend pas de risques, on ne
s'investit pas pleinement pour une part de marché ou un ratio d'endettement. [...]
La réussite économique [...] ne sera obtenue
qu'au prix d'une grande motivation et d'une grande implication. Elle sera donc
fondée sur des sentiments humains forts ». (3) C'est que les
motivations ne sont pas données, ni décrétées. Il ne suffit pas d'offrir un « bon
salaire » ou de céder une portion du capital. (4) Loin de
constituer un simple palliatif, la considération est un facteur mobilisateur très puissant.
« Le besoin d'être compris,
écouté, d'appartenir à une équipe, à une entreprise, à un clan nécessite des
qualités de coach de la part des responsables ». (5) Un employé en effet intègre une entreprise avec
le souhait de progresser ; il est en quête de responsabilité et de stabilité. Il
aspire à faire partie du groupe, à participer à une œuvre commune et, en même
temps, à disposer d'un espace de liberté d'action, à être reconnu en tant
qu'individu (besoin d'appartenance et besoin d'estime, selon A. Maslow). (6)
« Le manque de reconnaissance des employés a un coût en termes de baisse de
productivité, de baisse de la qualité des produits et services et de baisse des
profits ». (7) Lorsqu'un acteur crée un produit de qualité,
lorsqu'il adopte un comportement centré sur le client, il doit être complimenté
et encouragé. « Le moyen le plus
facile et le plus efficace d'augmenter l'estime de soi des employés consiste à
les féliciter de manière franche et sincère pour les tâches qu'ils
accomplissent bien ». (8)
Le processus de prise de décision
est avant tout descendant, mais l'entreprise ne se réduit nullement à un lieu
où l'on reçoit les ordres. Le personnel doit être associé par ses idées et
suggestions à l'amélioration ou même la conception des produits (besoin
d'accomplissement). Pourquoi ne pas tirer profit de toutes les matières grises
? Pourquoi l'effort créatif serait-il réservé à une poignée de cadres, pourquoi
ne pas l'étendre au personnel de base ? « Une philosophie de la
participation doit être authentique. Vous devez réellement croire que la
qualité de vos décisions augmentera grâce à la participation des personnes qui
les exécuteront. Vous ferez d'une pierre deux coups, [...] non seulement
vous les motiverez, mais vous tirerez profit d'un processus amélioré ». (9)
Au Maroc, la culture d'entreprise
demeure foncièrement makhzenienne.
Derrière les discours affectés sur les nouveaux modes de management se cachent
des patrons encore peu disposés à convenir de l'importance cruciale du capital
humain. Dans les entreprises, comme je l'ai noté précédemment, « les structures sont de type militaire, avec
une cascade de niveaux hiérarchiques. Les salariés sont réduits à des tâches
d'exécution, constamment placés en situation d'infériorité. Leurs supérieurs
sont inaccessibles, œuvrent pour davantage de pouvoir, un plus gros salaire, un
bureau plus vaste. Les collègues sont perçus comme des concurrents. D'instinct,
ils sont combattus, contrecarrés, écartés ». (10)
On parle à profusion du « coût de la non-qualité », il faudra bien
qu'on commence à faire cas du coût de la non-motivation. « Une personne
démotivée effectuera son travail, mais ne participera pas à la créativité
[...] et ne réalisera pas de progrès. Or, c'est la créativité qui est à la
base de la valeur ajoutée apportée à l'entreprise ». (11) La
démotivation est une plaie : le salarié désengagé s'absente ou traîne les
pieds. L'essentiel n'est certainement pas d'organiser des réunions, de
placarder des slogans à la gloire du client. Les intentions et les convictions
à l'échelon de l'état-major ne sauraient suffire. Le moral est un état d'esprit qui intensifie la
motivation. Le mépris hiérarchique et la mentalité dite de « petit chef » sont destructeurs : ce
n'est pas avec des gens rabaissés qu'on construit une organisation, qu'on
acquiert une position viable sur le marché. Pour reprendre le propos d'un
professionnel, « le Marocain, quel que soit son statut, est très sensible à la
reconnaissance et au respect de sa dignité ». (12)
Il est des entreprises où, en plus
d'un salaire de base élevé, les employés reçoivent des primes de production, de
qualification et de transport ; tout le personnel ouvrier est couvert par une
assurance maladie, adhère à la caisse de retraite, bénéficie de la 4ème semaine
de congé payé, d'un mois de prime en cas de mariage, etc. Il faut avoir discuté
avec les personnes concernées pour mesurer l'impact de tels avantages sur les
comportements quotidiens. Le slogan « le besoin du client passe avant celui
du personnel » est dénué de sens. Si les employés sont estimés, formés et
bien rémunérés, ils seront (normalement) engagés et loyaux. Si l'employeur ne
respecte pas son salarié, il y a peu de chances pour que celui-ci respecte la
clientèle.
A l'inverse, la satisfaction des
clients contribue sensiblement à la satisfaction des employés. Le fait d'être
en rapport avec des clients comblés stimule les esprits et crée une ambiance
favorable au travail. Finalement, l'objectif est de parvenir à une combinaison
complexe de performance et d'humanisme, où s'équilibrent le souci constant du
client, le bien-être des salariés et la prospérité de l'entreprise.
Récapitulons.
Le dynamisme de l'entreprise repose
sur l'implication forte et loyale de l'ensemble des collaborateurs. L'employé
est un client privilégié ; c'est lui qui est chargé d'appliquer la ligne stratégique
retenue. Il ne peut satisfaire la clientèle que s'il est lui-même satisfait de sa
situation au sein du groupe.
Thami BOUHMOUCH
Août 2012
________________________________________
(1) T. B., L'entreprise, dans
son environnement socioculturel, http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/lentreprise-dans-son-environnement.html
(2) Eric Bittar, Place de la
motivation en psychologie du travail, in
: www.univ.reims.fr
(3)
Jean-Philippe
Pecoul et Michel Santi, Fortune faite, l'expérience des grands
créateurs d'entreprises français du XXè siècle, Dunod.
(4) Les salariés considéreront
comme « normale » la satisfaction des besoins physiologiques et de
sécurité. Voir la pyramide d'A. Maslow in : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/le-besoin-notion-et-ordre-prioritaire.html
(5) Marc Allard, Former au
marketing de la demande, revue Banque Stratégie, juillet-août 1998. N.
B. : coach (anglicisme) désigne la personne chargée de
l'entraînement d'un sportif, d'une équipe.
(6) Cf. T. Bouhmouch, La culture au pays de l'entreprise,
communication au Colloque international Capital
humain et croissance économique, organisé
par l'EDHEC, 10-11 avril 1997 à Casablanca (Hôtel Hyatt Regency). Voir
sur http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/la-culture-au-pays-de-lentreprise-pour.html
(7)
Richard
Thibodeau, La reconnaissance au travail, in : richard.thibodeau@croyancesdebase.com
(8) Merge Gupta-Sunderji, La
motivation des employés, CGA Magazine, nov.-déc. 2003. Cf.
www.mergespeaks.com
(9) M. Gupta-Sunderji, ibid.
(10) T. B., Le premier client
marketing est à l'intérieur de l'entreprise, in : http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/le-premier-client-marketing-est.html
(11)
Bouchaïb
Najioullah, directeur de Adéquation, interview in L'Economiste,
17/09/2001.
(12)
Le DG de
Suzuki, cité in Motivation
: augmenter le salaire ne suffit pas, L'Economiste, 06/01/2003.
Merci pour cet article.
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