Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale
"Il n’a
pas suffi à l’Occidental d’enfermer les sociétés dans les rets de multiples
codes moraux et juridiques. Il a prétendu couler la sensibilité humaine dans
les mêmes patrons"
Cheikh
Hamidou Kane
Outre
les mécanismes subtils de domestication et de clientélisation des élites, le
néocolonialisme peut être mesuré par les flux de produits culturels. Ces
flux agissent sur ceux des marchandises, lesquels réagissent sur les premiers. A
travers les biens importés par les nations du Sud en effet, ce sont bien souvent
les modèles et idéaux de l’instance dominante qui s’implantent dans ces
nations. (1) Notons d’emblée que c’est bien tardivement que les
économistes ont pris intérêt aux problèmes posés par les échanges de cette
catégorie de produits.
Les
formes classiques du colonialisme étant aujourd’hui révolues, les ex-métropoles
sont amenées à pratiquer un dirigisme culturel et économique de plus en
plus étroit. Ils disposent pour cela, grâce à une technologie efficiente, de
puissants moyens de communication. La mise en condition des hommes est exercée
à une vaste échelle par le moyen des journaux, des films, des programmes de
radio et de télévision, de la publicité – à la faveur de la prolifération de
réseaux télématiques et de techniques de haute performance. Ces divers moyens
répandent une quantité considérable d’informations et de significations.
On
voit naitre et se développer à l’échelle mondiale des capacités colossales de
production et de transmission de l’information. En plus des procédés de
communication traditionnels, des moyens nouveaux tels que les ordinateurs, les
réseaux informatiques sophistiqués, la diffusion par satellites connaissent un
essor rapide consécutif aux perfectionnements spectaculaires de la technologie
électronique. De la sorte, une situation qualitativement nouvelle est
créée : la quasi-totalité de la population du globe est touchée, à un
degré ou à un autre, par les flux de biens culturels.
S’agissant
des Etats-Unis en particulier, la puissance des moyens mis en œuvre est mue par des intérêts économiques et une motivation
idéologique. Aujourd'hui, le mode de vie américain s'est répandu de par le
monde. Partout sont demandés la boisson Coca-Cola, les chewing-gums Hollywood et
les hamburgers de McDonalds. Cette chaine de fast-foods accueille chaque jour dans
le monde quelque 62 millions de clients. La diffusion d’une telle culture s'est
faite à travers les médias et l’action des firmes américaines. L’Europe, étant
elle-même un centre propagateur, semble se défier de la standardisation
culturelle qui se répand. Ramonet en dit ceci : «La culture de
masse triomphe […]. Ce qui renforce l’homogénéisation de tous les
Européens mais détruit les particularismes nationaux au profit du modèle
américain» (2)
Mais
c’est dans les pays du Sud – où se trouve largement propagée l’image
apologétique de l’Occident – que les dangers de désintégration culturelle sont
les plus prononcés. Le monde non occidental commet l’erreur grave de confiner l’information
à un épiphénomène, secondaire par nature. Le vide ainsi créé fait à l’évidence
le jeu de la domination externe. On peut à bon droit se demander comment le
changement économique pourrait être appréhendé si les médias n’engagent l’homme
social à prendre conscience de sa condition réelle et à intégrer ce processus
dans son schéma mental. Le changement révolutionnaire apporté de nos jours par
les moyens de communication, s’il permet de susciter un état d’éveil et
d’exigence, fait naître également une conscience aiguë des risques de dirigisme
culturel. Car, il est manifeste que les modes d’expression de la pensée sont et
seront de plus en plus tributaires, au-delà des capacités techniques utilisées,
des références culturelles de l’instance dominante.
«Aujourd’hui,
délibérément ou non sous des formes structurées ou non, ils [les médias]
exercent une influence énorme sur ce que les gens savent, sur leur façon
d’interpréter et de comprendre le monde et sur les valeurs qu’ils adoptent et
qui règlent leur conduite» (3) Souvent les médias étrangers
(ainsi que les médias nationaux qui sont à leur remorque) focalisent
l’attention des peuples déshérités, non sur leurs propres problèmes, mais sur
les hobbies de vedettes ou de mauvais dérivatifs. L’information introduite propose
les images de ce que peut être une manière de vivre et de consommer
inaccessible à ceux qui végètent.
Il
s’ensuit que, non seulement les techniques de communication de masse jouent un
rôle déterminant dans l’action de domination socioculturelle mais encore elles
font partie intégrante de cette domination. «Leur existence même, lourde de
potentialités pour le développement humain […] constitue un danger sans
précédent de totalitarisme culturel». (4) El Mandjra, pour qui
le culturel est devenu un facteur stratégique majeur dans les relations
internationales, soutient que les conflits à l’avenir résulteront davantage de
problèmes de communication culturelle que de problèmes économiques et
politiques (5) Pour l’auteur, le degré d’indépendance et de
souveraineté se mesure aux possibilités réelles des pays à agir sur les systèmes
d’information.
La
diffusion unilatérale d’images et de produits culturels, notons-le, peut
constituer un frein à un développement organique, vu que dans cette optique les
perspectives et les besoins endogènes devraient indubitablement demeurer la
référence primordiale. Il s’avère justement que «les transferts
d’informations, de méthodes et de compétences sont ordonnés au point de vue de
ceux qui les produisent et peuvent entrer en contradiction avec les
besoins et les intérêts de ceux qui les reçoivent». (6)
Les
firmes transnationales jouent un rôle fondamental dans ce vaste processus de
propagation de biens immatériels. Elles sont dès lors accusées au premier chef
d’imposer partout dans le monde un ordre culturel, des types de conduite
servant leurs intérêts et ceux de leurs pays d’origine. La suprématie est
assurée par le type même de produits écoulés dans le pays d’accueil, comme par
une information accaparée et dirigée par quelques agences de presse de grande
envergure.
Ces agences mondiales plongent leurs racines dans les sociétés industrielles – et c’est là que les informations sont traitées avant d’être diffusées dans les pays du Sud. Comme le flux d’informations circulant en sens inverse est pratiquement nul, le dispositif fonctionne à sens unique. Cet échange inégal de l’information n’est qu’une composante particulière de l’échange inégal imposé par les firmes transnationales avec autant de force que par le pacte colonial, mais avec des possibilités d’action différentes. De plus, l’insistance sur les putschs, les défaillances et pesanteurs, parfois même la malveillance sont les caractéristiques de bien d’écrits sur l’Afrique et le monde arabe…
Ces agences mondiales plongent leurs racines dans les sociétés industrielles – et c’est là que les informations sont traitées avant d’être diffusées dans les pays du Sud. Comme le flux d’informations circulant en sens inverse est pratiquement nul, le dispositif fonctionne à sens unique. Cet échange inégal de l’information n’est qu’une composante particulière de l’échange inégal imposé par les firmes transnationales avec autant de force que par le pacte colonial, mais avec des possibilités d’action différentes. De plus, l’insistance sur les putschs, les défaillances et pesanteurs, parfois même la malveillance sont les caractéristiques de bien d’écrits sur l’Afrique et le monde arabe…
Outre
les agences de presse, la prépondérance culturelle est exercée par de multiples
vecteurs et canaux, en particulier la télévision, les livres, les
films, les dessins animés et la publicité. C’est l’objet du prochain papier.
Thami
BOUHMOUCH
Janvier
2017
_____________________________________
(1) Cf.
l’article précédent : L’hégémonie par Les flux non comptabilisables https://bouhmouch.blogspot.com/2016/12/lhegemonie-par-les-flux-non.html
(2) Ignacio Ramonet, Le déblocage culturel, in Bernard Cassen et al.
(ouvrage collectif), Europerspective, Le monde vu d’Europe, Economica
1989, p.
96.
(3) Keith Griffin et
John Knight, De la nécessité de redonner un second souffle au développement
humain, Journal de la planification du développement, n° 19, 1989, ONU
1990, p. 16.
(4) Marie-Joseph
Parizet, La culture, terrain d’affrontement, Projet, sept. 1978, p. 955.
(5) Cf. son ouvrage Al harb al-hadariya al-oula, éd. Oyoun 1991, p. 279.
(6) Roland Colin, Information
économique pour le développement… Communication au symposium
international : L’information économique, 22 janvier 1990, éd. Banque
Populaire 1991, p. 195. Je souligne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire