« Un système est un ensemble de choses qui
se tiennent ». Le Littré
Au long des 9 articles précédents, nous
avons vu que le marketing baigne dans un environnement spécifique, que le
marché est un compromis entre nombre d'intervenants et de publics. En toute
rigueur, c’est un assemblage dont les composantes sont en interrelation et dont
l’équilibre général dépend de chacune d’elles. Autant dire que l'entreprise se
trouve insérée dans un système… C’est ce qu’il convient d’examiner dans ce
papier.
Essayons d’emblée de cerner la
notion de système. Dans un sens très général, c’est un ensemble d’éléments
en interaction dynamique. Ces éléments entretiennent
des relations de dépendance et de cause à effet. Ils sont coordonnés de telle
sorte que l’ensemble forme une unité. Comme
l’explique à juste titre Bertalanffy, « un
système est un ensemble d’éléments identifiables, interdépendants, c’est-à-dire
liés entre eux par des relations telles que, si l’une d’elles est modifiée, les
autres le sont aussi et par conséquent tout l’ensemble du système est modifié,
transformé ». (1) C’est bien sur ces aspects qu’il faudrait
mettre fortement l’accent.
Des intervenants en interaction dynamique
Au regard
d’une organisation, le marché apparaît comme un système d’interactions entre
des acteurs (individus, entreprises, institutions) susceptibles d’exercer une
influence sur son activité, en particulier sur les ventes de ses produits. La
conception du marché dans cette optique est fondamentale dans toute réflexion stratégique.
Elle permet de mieux appréhender les motivations et les actions des intervenants
importants qui composent ce marché ainsi que les rapports de force entre eux.
A y regarder de près, l’analyse du marché peut s’effectuer sous
trois angles distincts : celui des actions réciproques des acteurs en
présence (producteurs, distributeurs, clients…) et leur impact sur le champ d’activité
commerciale, celui de la position particulière de l’entreprise par rapport à
ses concurrents et enfin celui de l’environnement global dans lequel évoluent
les uns et les autres. Modifier l'un des éléments, c'est modifier le
rôle et le poids de chacun d’eux dans le système. Toute variation de l'un a
des répercussions sur les autres. Si une entreprise quitte le marché (abandon
ou faillite), le jeu concurrentiel sera tout autre. Si tel producteur décide de
modifier ses prix, les consommateurs adopteront un comportement différent. Si
la demande fléchit, le ralentissement du rythme des ventes influera sur celui
des approvisionnements – donc sur l’activité des fournisseurs. Suivant l'évolution
du mode de consommation, l'appareil de distribution pourra changer de forme et de
procédures (ou vice versa), etc.
Éclairons tout cela par des exemples
concrets, parmi les plus significatifs.
Il y a trente ans, lorsque la margarine de table s'était introduite
dans les habitudes du consommateur marocain, la part qu’elle détenait sur le
marché s’était mise à augmenter au détriment de celle du beurre.
A Casablanca, les épiciers et les
commerçants traditionnels (notamment ceux de Derb Omar) ont longtemps
joué un rôle majeur dans le ravitaillement des ménages. Or, l'arrivée de l’hypermarché
Marjane (en 1990) a réussi à bousculer ce mode de consommation, déjà
bien enraciné dans notre culture ; elle a en outre favorisé la croissance
des PME-PMI partenaires du groupe. De manière générale, lorsque les grandes surfaces,
fortes de leurs centrales d'achat, font pression sur les prix, elles influent
négativement sur la marge de rentabilité de leurs fournisseurs.
Jusqu'en 1997, le créneau des
chaussures haut de gamme pour enfants en bas âge, était pratiquement la chasse
gardée du géant Au Derby, notamment avec la marque Babybotte.
L'arrivée du concurrent Minibel, a considérablement modifié la donne… De
même, sur le marché du fromage fondu,
la société Sialim (La vache qui rit, Kiri) bénéficiait
d'un quasi-monopole. Mais des concurrents étant apparus dès 1993, il a bien
fallu revoir les stratégies et moyens d’actions.
Enfin, lorsque les destinations
phares de la zone MENA comme la Turquie, l'Egypte, la Tunisie enregistrent une
régression des arrivées de touristes, en raison de mauvaises circonstances
(guerre, attentats, tremblement de terre...), les pays concurrents comme le
Maroc en bénéficient.
On
s’aperçoit ainsi que non seulement le marché est composé de différents agents qui
interagissent, mais que les rapports de force entre eux peuvent le
modifier. C’est à coup sûr un système évolutif.
Le micro-environnement est-il contrôlable ?
L’arrivée d’un concurrent entraîne presque
inévitablement une réduction du chiffre d'affaires des opérateurs existants. L'implantation
d'un nouveau magasin perturbe la zone de chalandise, détourne une partie de la
clientèle et peut même menacer les commerces similaires des zones avoisinantes.
L'entreprise est-elle vouée à subir des perturbations pouvant
affecter son action et sa position ?
On peut dire qu’a priori l'environnement est
incontrôlable… En fait, il est possible de maîtriser l’une ou l’autre de ses composantes : 1/ si
l’on dispose
d’une capacité de réaction efficiente, 2/ si l’on parvient à anticiper
l’évolution des événements, 3/ si l’on est en mesure d’exercer des pressions
sur les décideurs.
1- Le moins que le
dirigeant puisse faire est de réagir à temps et en souplesse aux changements
survenus sur le marché, afin de ne pas les subir. « La réactivité se définit d’une manière
générale comme la capacité de présenter une modification en réponse à une
action extérieure. […] L’entreprise essayera de réagir le plus vite possible,
avec le meilleur résultat possible. Elle devra donc posséder un système
organisationnel qui lui permettra d’être flexible. La flexibilité se
définit comme la capacité intrinsèque de l’organisation à réagir et à s’adapter
à l’environnement ». (2)
2- La
situation de l'entreprise serait plus favorable et son action plus radicale si
ses dirigeants sont à même d’anticiper les
déséquilibres et les mutations. Anticiper, c’est prévoir les
changements éventuels (technologie,
économie, institutions, besoins…) et s’y préparer par avance. Une stratégie
proactive assure une maîtrise conséquente de
l’environnement grâce à la mise en place d'un système d'information efficace et
efficient. Au Maroc,
il y a peu, suite à l’accord avec l’Union Européenne, l’échéance 2012 et l’obligation
du démantèlement tarifaire s’étaient imposées au monde des affaires. Les entreprises performantes avaient dès lors anticipé l'événement et s’étaient
préparées à temps.
3- Parallèlement aux efforts de vigilance, l'entreprise a la
possibilité d’influer
sur le macro-environnement, (3) notamment sur le paysage économique
et les institutions, par
le biais des associations et du lobbying.
On sait que le secteur agricole au
Maroc a longtemps bénéficié de l’exonération fiscale qui lui a été accordée
en 1984. Or, l’expiration d’un
tel avantage qui était prévue pour décembre 1999 a été reportée à décembre 2009,
puis à décembre 2013. A chaque
fois, le lobby agraire demandait une prolongation. Aujourd’hui, il propose de
renvoyer l’échéance à 2020.
N’oublions
pas, au surplus, le moyen de contrôle particulier dont disposent les industriels,
lequel consiste à investir massivement dans les capacités techniques, de manière
à créer une barrière à l’entrée très difficile à franchir et ainsi à bâtir une
position dominante dans le secteur.
Ainsi, face aux mutations et déséquilibres externes, l’entreprise n’est nullement passive. Elle est en mesure d’exercer un
certain contrôle sur les divers intervenants qui gravitent autour d’elle. Elle est
amenée à agir en réponse à leurs décisions et actions, à contrebalancer
l’impact des perturbations.
Il n’y a pas longtemps, pour lutter contre la suprématie de Coca-cola,
le groupe Pepsi-Cola a choisi d'accentuer son développement dans des
pays comme l'Inde et l'Indonésie, où son adversaire n'avait pas encore de
position dominante. Lorsqu’en
2007 la marque Wana s’est introduite sur le marché marocain
de la téléphonie mobile, des clients ont été perdus pour les deux opérateurs
présents. Les ripostes n’ont pas tardé : Maroc Telecom a lancé le produit « Mobisud » et a baissé ses tarifs de
téléphonie publique. Meditel a lancé le produit « forsa » (gratuité entre mobiles clients) et a augmenté les marges
des distributeurs (pour les retenir).
Chaque
fois que des modifications apparaissent dans l’environnement, le
comportement du consommateur se modifie et le marketing est tenu
d’agir. En
un mot : la fonction marketing exerce son influence, en plus des publics
internes, sur les fournisseurs, les intermédiaires, les concurrents, les
consommateurs et les publics externes.
Thami
BOUHMOUCH
Janvier
2014
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(1) L. Von Bertalanffy, La Théorie générale des systèmes (1968), http://www.approche-systemique.com/definition-systeme/
(2) G. Gueguen, http://www.sciencesdegestion.com/travaux/montreal/montreal.html
(3) Cf. mon article Le marketing dans son environnement :
contraintes et incidences, http://bouhmouch.blogspot.com/2013/07/le-marketing-dans-son-environnement.html
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