Série : Compréhension du consommateur
Les attitudes, comme nous l’avons vu
précédemment, se concrétisent en
un comportement apparent. Le praticien du marketing est amené à bien les
comprendre, à les prévoir, parfois à les contourner ou même à les modifier. Cela
conduit à se demander : peut-on parvenir à changer une attitude ?
Ne faut-il pas se borner à s’y adapter ? Au Maroc, les hommes sont nombreux à regarder
la contraception comme une « affaire
de femme » et ne se sentent donc pas directement concernés par la question
de planification familiale. Les responsables de la Santé Publique doivent-ils
admettre cette position ou au contraire chercher à l’infléchir en favorisant le
recours aux préservatifs ?
S’adapter aux attitudes
préexistantes
Pour orienter l’action, en tout état de
cause, il
importe préalablement de bien repérer les attitudes et les mesurer. L’investigation fournit des éléments
d'analyse précieux : elle révèle ce que le consommateur sait d'une marque (aspect
cognitif), quelle attirance ou répulsion il ressent à son égard (aspect
affectif), quelles sont ses intentions d'achat face à une offre donnée (aspect
conatif). Lors d'un sondage, le sujet est invité à placer ses réponses aux
questions posées sur diverses échelles (Osgood, Lickert). (1) Au
moment du traitement, on additionne les scores obtenus sur chacune des
réponses.
Un produit n’est
pas acheté s'il ne bénéficie pas d'une attitude favorable auprès du
consommateur. Que peut faire alors l'entreprise concernée ? L’idée qui
vient immédiatement à l’esprit est qu’il faut s'adapter à cette attitude, proposer
une offre rigoureusement conforme à celle-ci. C’est la solution en général la
plus aisée.
Une chaîne de
télévision ne doit-elle pas tenir compte strictement des attitudes de son
public ? N’est-ce pas l'orientation que 2M semble avoir entamée en
1995 en lançant ses fameux « programmes de proximité » ? Par
ailleurs, lorsque Feeding Corporation, le fabricant de pâtisserie
surgelée (tartes, croissants…), s’est lancé sur le marché marocain, le
consommateur n'était pas favorable au concept. La direction a dû, dans un
premier temps, renoncer aux particuliers en limitant sa cible au segment des
hôtels et restaurants…
Modifier l’attitude
L'entreprise ne
tend pas en toutes circonstances à s’adapter aux attitudes de son public cible.
Elle peut si besoin est chercher à les transformer, à les faire évoluer en
accord avec ses intérêts. Il s’agit alors de neutraliser les motifs de rejet, d’insister
sur tel attribut du produit, de s'abstenir de mettre en évidence tel autre…
Le praticien est bel
et bien en mesure d’influer sur l’évaluation cognitive, les réactions
émotionnelles et les prédispositions à agir. Il est possible d'agir sur ces
trois dimensions par le recours à des arguments appropriés. C’est le sens qui
est donné au repositionnement – un processus par lequel le marketing
essaie de modifier les jugements et les croyances de l’individu, de l'amener à
évaluer positivement un produit, d’influer sur sa disposition à l'acheter.
Les attitudes,
notons-le, n’ont pas le même degré de stabilité : les attitudes majeures
ou centrales, enracinées dans un système vaste, tenant à des valeurs fondamentales
se distinguent des attitudes mineures, isolées ou périphériques. S’agissant
des produits de grande consommation, ce sont les attitudes de seconde catégorie
qui prévalent et l’acheteur est ainsi relativement maniable. Plus une attitude
est ancrée dans l’esprit ou liée à la satisfaction d’un besoin intense, plus il
est difficile (et coûteux) de la modifier.
Il importe de
préciser que, le cas échéant, une action de modification des attitudes est envisagée
conjointement avec un effort d’adaptation du produit. La
marque japonaise de motocyclette Honda voulait jadis conquérir le marché
étasunien. Les dirigeants s’interrogeaient sur l'attitude de l’acheteur
potentiel à l’égard de la moto. Une étude sur place a montré que la moto ne bénéficiait
pas d'une image positive, était associée à la délinquance et au désordre
social. L’action adoptée avait alors pour but de modifier cette perception, en supprimant
les signes qui pouvaient être associés dans l'esprit du sujet aux loubards et
aventuriers. Il fallait éviter l'allure ou l'apparence dévergondée de la moto.
Jusqu’à encore il y
a dix ans, Fiat Auto Maroc a souffert de l'appellation « voiture économique ». Elle a été
obligée de réagir à la dépréciation progressive de son image, de prendre des mesures
concrètes de réhabilitation.
Deux messages récents ont mis l’accent sur les efforts fournis : « Pensez par vous-même, oubliez les autres. Dépassez
vos doutes et certaines barrières vous paraîtront plus fragiles » (novembre
2006) ;
« Tout repose sur l’évidence »
(avril 2007). Le but était clairement d’inciter la cible à dépasser ses
préjugés, à constater les améliorations apportées au produit.
Lorsque
les concessionnaires Renault au Maroc ont constaté, s’agissant
des contrôles et réparations, que les acheteurs
tendent à traiter avec leur mécanicien habituel plutôt qu’avec la
marque, ils ont entrepris d’améliorer leur SAV, puis de communiquer afin de vaincre
les réticences.
Agir comment ?
Il est possible de générer un changement d'attitude auprès de l’individu – conformément aux
objectifs définis (CA, rentabilité…) –
par le recours à la persuasion, à l'encouragement, au sentiment d’autoconservation
ou à la peur.
1. La persuasion
Il s'agit de neutraliser
le jugement préconçu (négatif) du sujet, de le séduire, de le gagner
par des arguments forts. La société P
& G au Maroc, il y a quinze ans, œuvrait pour un changement des attitudes
à l’égard des serviettes hygiéniques. Le patron voulait « porter le
consommateur à utiliser nos produits, plutôt que l'accompagner dans ses modes
de consommation propres ». (2) De même, la
progression spectaculaire de la margarine sur le marché marocain, où le beurre
était dominant et populaire jusqu’aux débuts des années 1990, est due au travail
de sensibilisation effectué par les producteurs. Le message était axé sur deux
arguments : le prix moins élevé et les « vertus diététiques »
de la margarine.
Dans
le secteur touristique, il suffit qu’un évènement tragique ait lieu quelque
part (attentat, épidémie) pour qu’une psychose et un sentiment d'insécurité fassent
reculer l’activité en provoquant des annulations nombreuses. Dans un pays comme
le Maroc, l’Etat (l'ONMT) est alors amené à prendre en charge des actions de
communication persuasive.
2. L'encouragement.
L’idée
est de stimuler l’individu, de l’inciter par le geste, de l’amener
à faire le premier pas – et ce par des contacts directs, des initiatives
concrètes. Au Maroc, l'hygiène bucco-dentaire est demeurée longtemps insuffisante.
Les actions menées par Colgate-Palmolive ont été dès lors tournées vers
la sensibilisation et l'éducation dans les écoles. Des programmes appropriés ont
été mis en œuvre en partenariat avec les ministères de la Santé et de
l'Education. Ils portaient sur les visites d'écoles, la distribution de kits
(dentifrice, brosse à dent) et un effort de communication à la télévision (Dr
Sninate)… Unilever (Signal 2) a mené une action similaire : un
cabinet dentaire mobile visitait les écoles pour initier les enfants au
brossage, en plus de la conception de films, de livrets et de jeux pédagogiques
axés sur le sujet. Son PDG disait : « Le marché bucco-dentaire ne peut se développer que par une politique
d'éducation. Certes, c'est un long processus, mais qui finira par porter ses
fruits ». (3)
On se rappelle, il
y a douze ans, de la campagne intitulée « Visa pour vos achats de tous
les jours » lancée par Visa International et les banques de la place.
Le but était d’encourager le consommateur marocain à utiliser la carte Visa pour
les paiements au lieu de la destiner aux seuls retraits aux guichets
automatiques.
3. Le sentiment
d'autoconservation
Il s’agit ici d’exploiter
l'aspiration du sujet à se préserver physiquement. On retrouve un tel
sentiment dans ces messages publicitaires : « Le dentifrice
Denivit redonne à vos dents leur blancheur naturelle sans altérer l'émail » ; « L'Oréal Plénitude retarde les effets du
vieillissement de la peau » ; « KLORANE pour des cheveux
plus forts et plus vigoureux »…
4. La peur, la menace
L'entreprise est portée parfois
à suggérer un risque, comme moyen de pression. Plus la crainte est grande, plus vif est le désir de l’écarter.
La campagne contre la drogue menée en 2001 par l'Observatoire National
des Droits de l'Enfant s’appuyait sur la peur. Le message publicitaire, montrant
le corps d'un enfant recouvert d'un drap blanc sur une civière, disait : « Un
jour ou l'autre les enfants qui se droguent finissent par s'arrêter ».
La campagne contre le sida de l'ALCS a lancé à la même époque ce message : « Le sida, pensez-y avant qu'il ne pense à
vous ».
On sait enfin que la
mise en place d'un réseau informatique (donc partage de données) comporte des
risques réels ; la liste des attaques possibles est longue et peut faire
peur. Au Maroc, l'association BSA, regroupant cinq concepteurs de solutions informatiques, a lancé en
2000 une campagne de lutte contre le piratage de logiciels : « Un réseau informatique comporte des risques
réels : piratage ou destruction de données, vols de fichiers, virus, etc. Nous
avons la solution ».
Thami BOUHMOUCH
Décembre 2014
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(1) Exemple d’une
question : « La marque Macao convient parfaitement à un chocolat –
Etes-vous tout à fait d'accord, plutôt d'accord, sans opinion, plutôt pas
d'accord, pas du tout d'accord ? ».
(2) Cités in revue Economie &
Entreprises, février 2000.
(3) Cité in L'Economiste, 19/12/96.
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