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29 septembre 2013

VEILLE ITERATIVE ET BENCHMARKING



Série : L’essentiel didactique

On ne le répétera jamais trop : l'entreprise est tenue de surveiller en permanence son champ concurrentiel. Si elle maîtrise les informations disponibles à l’extérieur, elle peut utilement se remettre en cause. Le dirigeant qui s'enferme dans ses certitudes est incapable de réagir de manière appropriée aux assauts de l’adversaire. Plus la concurrence est dure, plus il est indispensable de s’informer, plus vite et mieux que les autres. Un leader ne le reste que par le maintien de son avance. La connaissance étant le nerf de la guerre commerciale, une veille pointue et systématique est mise en œuvre.

Une veille systématique et proactive

La veille est un mode de recherche tous azimuts de l'information, une surveillance étroite de l'environnement à des fins décisionnelles. C’est un processus permanent et itératif par lequel l'organisation cherche à réduire son incertitude. Elle vise à alerter les principaux responsables par la diffusion de signaux sur les opportunités ou/et les dangers détectés sur le terrain. Elle a une finalité tant stratégique qu’opérationnelle. Portant à la fois sur le long terme et le court terme, elle permet aussi bien de s’engager dans un nouveau domaine d’activités que de modifier le prix ou l’emballage d'un produit.    
La veille n'est pas pour autant une boule de cristal ; elle ne peut nullement prédire l'avenir. Elle fournit, non pas des données exhaustives et sûres, mais des approximations de ce qui se passe sur le terrain.
La veille ne se limite pas non plus à un système informatique et des logiciels spécialisés. Il est vrai qu’elle a été révolutionnée par l'arrivée des moteurs de recherche sur le web, que l’outil informatique facilite le traitement des données recueillies, mais l'interprétation et l’appréciation de celles-ci sont le fait uniquement des hommes qui comptent s’en servir. Seul l’élément humain peut donner un sens à l’information et la transformer le cas échéant en moyens d’action. La veille est avant tout une intelligence dans l’analyse et la décision.
L'activité de veille enfin n'est pas une trouvaille du temps présent : on y a recourt depuis que le monde des affaires existe, bien qu’elle ait été désignée par des appellations diverses (renseignement stratégique, documentation, observation des marchés…). Mais aujourd’hui l’information commerciale s'affirme comme une ressource déterminante au plus haut point. L’entreprise apparaît bel et bien comme un système qui introduit des informations pour les transformer en décisions et en actions. (1) Elle se dote d’une cellule de veille, chargée de faire ressortir les compétences distinctives des concurrents, leurs objectifs (affichés), leurs domaines d'excellence, leurs points faibles (d’où l’appellation « observatoire de la concurrence »). Si l’adversaire est sûrement conscient de ses forces, il l'est moins de ses points faibles, qui peuvent être exploitées stratégiquement.
Autour de nous, les sources d’information ne manquent pas : les sites web des concurrents, l’observation sur le terrain de leurs produits et campagnes publicitaires, les salons professionnels, les congrès et colloques, la presse professionnelle (papier, web)… (2) De plus, nos fournisseurs (qui sont aussi ceux des concurrents) ainsi que nos propres clients peuvent contribuer à une meilleure connaissance du marché.
C’est ici le point majeur : dans un contexte de rivalités et d’incertitudes exacerbées, l’attitude à l’égard de l’information et les modes d’investigation se devaient d’évoluer. La veille n’est plus assimilée au renseignement, ne se réduit plus à une logique réactive. Il faut, plus que jamais, être capable de vivre dans la turbulence, de prévenir les risques et les contraintes, d’anticiper les mutations du champ d’activités. C’est une telle exigence en fait qui a donné lieu à la notion d'intelligence économique. (3)
Cette notion implique le dépassement des procédés plutôt partiels désignés par le vocable de veille… Toutefois, il ne convient pas d’opposer l’une à l’autre. « L'intelligence économique [est] un concept globalisant, intégrant l'ensemble de ces différentes approches à la fois. Autrement dit, faire par exemple de la veille technologique contribue à faire de l'intelligence économique mais ne suffit pas à faire de l'intelligence économique ». (4)  
L'intelligence économique ou intelligence marketing, non seulement elle inclue le processus de veille, mais elle contribue à la dimension stratégique des décisions. C'est fournir la bonne information, au bon moment, à la bonne personne pour lui permettre de prendre la bonne décision. Au-delà de la nécessaire aptitude à réagir, c’est un processus proactif : elle permet de répondre au changement autant que d’anticiper les ruptures et les tendances de demain. (5)

Le benchmarking
Comment améliorer les processus, impliquer pleinement le personnel, coller aux attentes du client, consolider l’image de marque, réussir sur le marché ? A ces questions, le manager s’attend à trouver ailleurs des réponses originales et opérantes. Il s’efforce de trouver des modèles dans les organisations les plus innovantes, ayant des modes de fonctionnement exemplaires. L’entreprise qui apprend, repense son action et tend à s’améliorer… Telle est en un mot la problématique du benchmarking.
Apparu aux Etats-Unis au début des années 80, le benchmarking  est une démarche continue d’observation et d’évaluation des meilleures pratiques de gestion. Il peut porter sur les procédés d'organisation comme sur l’action marketing. L’idée provient du benchmark, un mot emprunté aux géomètres désignant un point de référence pour des comparaisons de direction et d'élévation. Il s'agit de se servir des expériences exogènes les plus significatives comme d'un étalon, de comprendre les clés des performances afin de s'en inspirer. Bien conduite, la démarche peut faire réaliser des économies substantielles.
Ici se pose une question inévitable : est-il possible que les entreprises laissent filtrer des informations précises sur leurs attributs et pratiques ? Dans un contexte de compétition, on se doute bien que les possibilités de dialogue et de partage sont a priori limitées. Chacun des intervenants est censé être discret sur sa politique et sa façon d’agir… Pour autant, on sait que l'information est de moins en moins verrouillée ; les managers qui cherchent à la recevoir, consentent aussi à la fournir. Elle est recueillie ici et là par observation et par déduction — les sources externes étant multiples et de plus en plus variées. Tel dirigeant organise des réunions périodiques avec ses collaborateurs, au cours desquelles les moyens mis en œuvre et résultats atteints sont comparés le mieux possible avec ceux de la concurrence.

En fait, pour tendre vers l'excellence, le benchmarking va beaucoup plus loin que la surveillance traditionnelle des concurrents. Il permet à l'entreprise apprenante de trouver des points de repère en dehors de son cadre habituel (son métier). Il n’est pas nécessaire que l’entité de référence soit un concurrent. Nombre d’entreprises marocaines dans des secteurs divers gagneraient sans doute à s’inspirer des chaînes McDonald’s, de leurs modes de fonctionnement et de leur adaptation constante au marché. En France, il est arrivé au constructeur d’automobile Renault d’étudier les pratiques de Darty (grande distribution) et celles du groupe Novotel (hôtellerie) concernant l’écoute des clients, comme celles de Nestlé (agroalimentaire) et d’Air Liquide (gaz industriel) pour ce qui est de la réduction du nombre de niveaux hiérarchiques…

Thami BOUHMOUCH
Septembre 2013
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(1) Cf. article : « S’informer pour prendre des risques calculés » http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/sinformer-pour-prendre-des-risques.html
(2) Notons à ce sujet qu’au Maroc, la société Imperium média, un fournisseur d'informations économiques et marketing, propose une profusion d’articles répertoriés, en plus d’une médiathèque publicitaire.
(3) Cf. deux articles : « L’information, outil de décision et de gestion » http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/reduire-le-risque-par-linformation.html ; « L’information commerciale : résistances et quiproquos » http://bouhmouch.blogspot.com/2011/11/linformation-commerciale-resistances-et.html
(5) Au Maroc, plusieurs organismes sont impliqués : le Centre de Veille Stratégique, le Centre d'Analyses Economique et des Etudes prospectives, l’Association Marocaine d'Intelligence Economique…

12 septembre 2013

LE CONCURRENT, UN RIVAL QU’IL FAUT AVOIR A L’ŒIL



Série : L’essentiel didactique

 « Etre tout seul sur le marché n'est pas stimulant, le soleil brille pour tout le monde »
Un dirigeant d’entreprise

Dans un univers où les concurrents sont de plus en plus présents et actifs, il faut constamment chercher à faire les choses mieux et plus rapidement. L'instabilité s'accentue et la capacité de réaction aux changements est devenue un facteur décisif. Celui qui n'avance pas recule ; il y a fatalement des perdants et des gagnants. Les entreprises efficaces et innovatrices se développent aux dépens des entreprises inefficaces et sclérosées ; elles parviennent même à les évincer du marché.
Le marketing, dans sa définition même, intègre nécessairement cette réalité (1) : cela consiste à satisfaire le consommateur mieux que ne pourrait le faire le concurrent. La société 3M utilise sa formidable assise technique pour créer des marchés complètement nouveaux ou pour modifier les données concurrentielles des marchés existants.
La concurrence est perçue comme un ensemble d'adversaires. Mais qui sont-ils ?

Identification des concurrents
Nombre de dirigeants ont une connaissance superficielle de leurs concurrents. Il arrive qu’ils se trompent d’adversaire, en se focalisant sur celui dont ils entendent beaucoup parler et qui n’est pas toujours le plus dangereux.
Non seulement il ne faut pas se méprendre, mais l'analyse doit se faire de façon prospective. Au-delà des concurrents actuels, il faut voir par avance, pouvoir débusquer les concurrents futurs. « Les monopoles ne sont pas éternels. A moins que le gouvernement ne les renforce, ils restent sous la menace d'éventuels concurrents ou substituts, sur le marché intérieur ou à l'étranger. A la question du nombre d'entreprises nécessaires à la concurrence, Arthur Laffer répond : une seule. Elle sera toujours sous la menace de futurs rivaux ». (2)
Il n’y a pas lieu de se situer par rapport à la concurrence indépendamment du client. A quoi cela servirait-il de surpasser une marque rivale dans un domaine sans importance pour le client ? Il ne convient pas non plus d’appréhender les menaces dans l’absolu. La concurrence est toute relative. Pour une PME, telle grande entreprise est un concurrent redoutable, mais l'inverse n'est pas vrai. Tout est affaire de dimensions et de parts de marché. Ce qui nous rappelle la notion de part de marché relative (PMR), abordée dans un autre papier. (3)
Le concurrent, qui plus est, n’intervient pas nécessairement sur tous les fronts, ne menace pas en totalité nos activités. « A proprement parler, il n'y a que des moments de concurrence entre entreprises ; la concurrence est limitée dans le temps. Elle l'est aussi dans l'espace des marchés et des produits. Rares sont les entreprises qui s'affrontent sur toute la ligne, c'est-à-dire dans les mêmes marchés avec exactement les mêmes produits ». (4)

Rivalités et émulation
Le contexte actuel est caractérisé par une offre pléthorique et la variété des produits offerts. Dans un hypermarché comme Marjane, on trouve une profusion de marques de shampooing, de thé vert, de confiture, etc. Le consommateur, plus que jamais, tend à s’informer, à comparer les articles proposés, à fixer librement ses choix.  
Sur un territoire encombré, les entreprises se battent pour garder leurs parts de marché, fidéliser leurs clientèles. Les rivalités sont intenses et les barrières à l'entrée deviennent très élevées. Ces barrières sont en fait des atouts et des aptitudes distinctives dont jouissent les marques établies : qualité supérieure, disposition exclusive d'un produit nouveau, domination du circuit de distribution, importantes économies d'échelle…
La concurrence est une variable semi-contrôlable. Il faut être en mesure d'évaluer sa position par rapport aux adversaires les plus proches, de suivre attentivement leurs actions et performances : chiffre d'affaires, parts de marché, prix pratiqués, présence aux points de vente, lancement de produits, messages publicitaires (informations obtenues à partir de panels, par une étude documentaire, par observation).
On peut réagir à l’action d'un concurrent par divers moyens : baisse des prix, campagne promotionnelle vigoureuse, différenciation ou innovation… « Si un concurrent lance un modèle nouveau, on lui en lance dix dans les jambes », disait un industriel combatif. Dans le secteur de téléphonie mobile, lorsque Maroc Telecom avait naguère déclenché une baisse des prix, les autres opérateurs étaient bien obligés de suivre. De même, lorsque la facturation à la seconde a été lancée, la concurrence a aussitôt riposté. Le marché du crédit à la consommation est aujourd'hui en ébullition : on assiste au lancement de produits de financement de plus en plus complexes et ciblés. Des modes divers sont proposés : crédit bancaire, crédit-bail (professionnels), crédit à la consommation, leasing (particuliers). Les banques ont choisi d'investir davantage ce marché et la bataille avec les sociétés de crédit est de plus en plus rude.
La concurrence, on s’en doute, ne se limite pas à l’espace national. Peu d'entreprises peuvent échapper à la tourmente de l'ouverture des frontières, à la compétition à l'échelle mondiale. L’e-concurrence est désormais une réalité : si la firme Boeing a besoin d'une référence précise de ceinture de sécurité, elle émet son appel d'offres vers des fournisseurs à travers le monde. Ceux-ci proposent leurs prix et leurs disponibilités en temps réel. Internet permet à chacun d'acheter ce qu'il veut, partout et à n'importe quel moment. 
La concurrence, en permettant de faire mieux, peut être un facteur d’amélioration et d'innovation. Au XVIIIème siècle, Adam Smith écrivait que « le monopole est l'ennemi de la bonne gestion des affaires ; la concurrence libre et universelle, au contraire, oblige chacun à bien gérer ses affaires pour pouvoir se défendre ». (5) La rivalité dans l'innovation est sans doute la forme moderne de concurrence la plus importante. La compétition s'exerce de façon intense dans les services de Recherche & Développement. Elle force les organisations à relever le défi ou disparaître. C'est la concurrence qui explique le saut qualitatif de Maroc Telecom. Ce phénomène a permis à l'opérateur national de se tailler la part du lion sur le marché de téléphonie mobile (47,07 % du marché).

Concurrence déloyale et plagiat
La concurrence doit assurément être loyale et répondre aux règles de conduite commerciale. Actuellement, deux marques de fromage fondu se côtoient sur le marché marocain : La vache qui rit (société Sialim) et Or blanc (groupe Copralim). Entre les deux, la ressemblance est frappante (traits bleus, vache souriante). Pour le fabricant pénalisé, le lancement de ce nouveau produit atteste d'une volonté manifeste de créer une confusion auprès des consommateurs. Le producteur plagiaire ne cherche-t-il pas à capitaliser sur la notoriété de la marque originelle ? N’est-ce pas un cas de concurrence déloyale ? Sur le marché du détergent, Unilever lance une campagne promotionnelle de grande envergure afin de fidéliser sa clientèle. Une semaine après, son principal concurrent Procter & Gamble riposte avec le même concept. Le but de ce plagiat est clair : s'arroger tous les effets de la campagne initiée par son rival.  
L’appropriation maquillée des noms et signes d’identification vise à créer la confusion de façon encore plus flagrante. En général, on copie l’élément figuratif et on invente des dénominations dont l'intonation est presque identique. Si la marque Duracell (Gilette) a vu jadis son chiffre d’affaires baisser, c’est à cause de Duramex et de Duralex, deux imitations parfaites. Entre les chewing-gums Clark’s et Flash, le graphisme et le jeu de couleurs sont quasi identiques. L’huile Lousra a copié l’emballage, la couleur et le logotype de Lesieur. Mic ressemble à s’y méprendre à Bic (symbole, typographie)… Comment distinguer le vrai du faux ?
L'entreprise qui lance un nouveau produit le fait pour disposer d’un avantage distinctif, d’une position unique. Lorsque l'idée innovante est protégée par un brevet elle ne peut en principe se diffuser auprès des concurrents. Or, en pratique, le dépôt d’un brevet accorde rarement un véritable avantage à l'inventeur. L'OMPI (Office Marocain de la Propriété Industrielle) est chargé de recevoir l'enregistrement des nouvelles marques, brevets d'invention, dessins et modèles, mais le législateur ne lui confère aucun droit de contrôle. La responsabilité est assumée par l'entreprise dont le produit a été ou risque d’être contrefait.
De fait, peu d'innovations échappent à l’imitation. Le créatif doit s'attendre à ce que son apport soit rapidement copié. Les imitateurs, qui n'ont pas assumé le coût des recherches, profitent des nouvelles idées presque autant que les inventeurs. Il serait vain de les poursuivre par des procès coûteux et aléatoires. Qui plus est, de nombreuses innovations ne sont pas brevetables et les sanctions prévues par le législateur n'ont qu'un effet palliatif.
L'ampleur de la contrefaçon donne lieu à des estimations diverses. On pense que son poids représente aujourd’hui 5 % du commerce mondial. Au Maroc, les produits contrefaits proviennent principalement d’Asie du Sud-est, de la Chine en particulier. Le marché des lunettes, des montres, des briquets, des stylos, des articles en cuir constituent le champ de prédilection des contrefacteurs. Des marques mondialement connues telles Swatch, Ray Ban, Chanel et Calvin Klein sont constamment contrefaites. Le préjudice subi est considérable.

Thami BOUHMOUCH
Septembre 2013
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(1) Voir à cet égard : « Saisir Le Marketing en tant que concept multidimensionnel  », http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/de-la-portee-multidimensionnelle-du.html
(2) George Gilder, « Richesse et pauvreté », Albin Michel 1981, p. 51. Je souligne.
(3) Cf. « Mesurer le marché : les principaux indicateurs », http://bouhmouch.blogspot.com/2013/07/mesurer-le-marche-les-principaux.html
(4) J.-P. Sallenave et A. d'Astous, « Le marketing, de l'idée à l'action », éd. Simex, pp. 199-200. Je souligne.
(5) George Soule, « Qu'est-ce que l'économie politique ? », Nouveaux Horizons 1980, p. 67.