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11 novembre 2017

L’EMPRISE IDÉOLOGIQUE DES MODÈLES MÉTROPOLITAINS


Série : La voie de l’imitation, fétichisme et illusions   


"Les opprimés ressentent une attraction irrésistible envers l’oppresseur et sa manière de vivre. Ils désirent à n’importe quel prix lui ressembler". Paulo Freire


Les nations culturellement subjuguées croient en la possibilité d’une mutation par simple transposition de pratiques et de procédés importés. Elles sont par une conséquence logique entrainées à emboîter fidèlement le pas à l’instance dominante et mettent beaucoup de passion à l’imiter. Cette idée, soigneusement entretenue par ceux-là mêmes qui fournissent les procédés et moyens, est responsable de nombre d’orientations décalquées sans discernement. La grande ville est par excellence l’espace où se manifeste la soi-disant modernité : tours en verre, hôtels fastueux, publicités plagiées envahissantes… Le mimétisme s’étend quasiment à tous les domaines : de la littérature aux institutions, de la télévision à l’alphabet, de la vie familiale à l’économie.
Il y a six siècles, Ibn Khaldoun écrivait : «On voit toujours la perfection [réunie] dans la personne d’un vainqueur […] Le vaincu adopte alors tous les usages du vainqueur et s’assimile à lui. C’est au point qu’une nation dominée par sa voisine fera grand déploiement d’assimilation et d’imitation» (1) Le propos demeure aujourd’hui pertinent : le plus faible en effet est porté à accepter la loi du plus fort, s’inspirer de sa conduite, toujours tout rapporter à lui. Et c’est lorsque l’ordre du maitre est pleinement accepté par les subordonnés qu’il semble naturel ; c’est alors qu’il parait le plus rationnel et le plus évident.
Par-dessus tout, le désir d’adhérer à l’autre, de le prendre pour référentiel n’émane aucunement d’une volonté de s’élever à son niveau. Pour les opprimés, l’idée n’est pas d’être l’égal de l’oppresseur mais d’être en dessous de lui, dépendre de lui. Les nouveaux leaders marchent derrière l’instance dominante en s’attribuant ses archétypes. C’est le constat que fait H. Béji : «l’homme politique chez nous, tout en affirmant sa victoire, continue de se percevoir dans le déterminisme du magma colonial ; c’est comme s’il avait conquis sa liberté tout en la niant, en la laissant être happée par l’atavisme historique» (2)

La nation subordonnée en effet ne cherche pas à rompre avec l’hypothèque culturelle. Au contraire, elle fait montre d’une forte prédisposition à la reproduction des recettes stylisées allogènes. Peut-être n’est-il pas facile de résister à la supériorité matérielle acquise par la société-modèle sans devoir appliquer les mêmes pratiques. Il est vrai que «tout mode de développement qui parvient à se réaliser tend vers l’autovalorisation, non seulement en exaltant sa spécificité à l’encontre des autres, mais en sécrétant les critères qui justifient et consacrent son existence en lui fournissant une certaine rationalité». (3) C’est ainsi qu’on se laisse enfermer dans le piège du mimétisme. Piège ou cercle vicieux, en ce sens que le genre de vie introduit par les apports exogènes produit à son tour des dispositions d’esprit favorables à l’imitation.

Les faits montrent – sans pour cela préjuger des luttes contre l’occupant – que c’est par transfert formel de pouvoir que les indépendances furent généralement proclamées. Les signes extérieurs de la souveraineté (gouvernement, drapeau, hymne national…) sont bien visibles, mais les stigmates de la dépendance réelle transparaissent. Le caractère ambivalent de la décolonisation surgit sans équivoque : l’intention déclarée est de s’engager dans une voie autonome, mais la tendance générale est de se mettre à la remorque de l’ancien maitre, de se modeler sur lui. On pourrait dire, à l’instar de Ziegler, que la nation décolonisée ne vit «que par procuration ; [elle n’a] ni la volonté, ni la force de s’imposer sur l’échiquier de l’histoire». (4)
Les peuples extravertis s’hypnotisent sur les effets de démonstration au détriment des priorités. Un tel illogisme transparait d’abord au niveau du comportement individuel. Dans le Brésil des années quarante, ainsi que le rapportait Carneiro, les minorités privilégiées «singeaient jusqu’à l’absurde le mode de vie, les idées, les conduites, l’habillement des Parisiens. Les dames de la haute société de Rio portaient des manteaux de fourrure sous les tropiques». (5)
La tendance mimétique, en s’étendant aux comportements politiques, engage l’ensemble de la communauté. Il suffit de procéder à l’examen comparé de l’organisation administrative, économique ou sociale en Afrique, pour s’apercevoir à quel point le modelage s’est fait ici français, là anglais et ailleurs portugais. De l’appareil judiciaire à la fonction publique, des structures constitutionnelles aux textes de lois… tout est calqué, souvent in extenso, sur les archétypes de l’ex-métropole. Le budget le plus colossal, les réalisations les plus impressionnantes, s’ils visent à satisfaire le narcissisme national, ne font que donner une façade de progrès à des sociétés désarticulées. Il n’est pas jusqu’aux sigles et appellations qui n’échappent à la règle.
Il s’agit ici de souligner que des pratiques et schémas, nés en Europe de conditions historiques spécifiques, sont délibérément transposés dans des pays d’ancrages culturels différents. De fait, si les discours sur le progrès économique se révèlent peu crédibles, c’est parce qu’ils font l’impasse sur les ressorts propres des nations. La rationalité économique est étrangère aux projets prestigieux qui frappent l’imagination et tendent à accentuer la dépendance. Ici, vient à l’esprit la position adoptée (d’une façon imagée) par un physicien chinois à propos du développement de la science en Chine : «le moyen le plus rapide de rattraper la science moderne et d’impressionner les visiteurs étrangers est d’installer un grand laboratoire, d’acheter tous le équipements à l’étranger, puis de former rapidement des étudiants et des chercheurs aux problèmes étudiés ailleurs au même moment. La Chine rejette cette méthode parce que ce ne serait là qu’une vitrine sans lien avec le développement général du pays». (6)



Notons que la tendance au mimétisme n’est pas limitée à une époque ou peuple donnés. L’Inde, dès son indépendance, s’engagea dans les chemins tracés par l’ex-métropole au lieu de concevoir un processus spécifiquement hindou. L’Egypte, un moment, aspira à se transformer en un pays européen ; d’aucuns n’ont pas hésité à faire ressortir les «attaches européennes» de ce pays, à le détacher de l’univers oriental dans lequel il baigne. En Iran, le courant moderniste se présentait comme la redite en milieu musulman d’idéaux et de normes de conduite occidentaux. Mais c’est en Turquie kémaliste que ce processus était le plus extrême ; Mostafa Kemal, en abolissant le califat et en s’attaquant aux institutions traditionnelles s’employait (avec ostentation) à transformer le pays à l’image de l’Occident… «Occidentalisme de surface, écrivait S. Amin, qui recouvre désormais un réel vide culturel» (7)
Toutes ces métamorphoses avaient pour ambition de provoquer un processus de changement salutaire, lequel signifiait alors la reproduction de l’Occident moderne. Le problème serait en somme de faire «simplement» – avec retard – ce que les autres ont fait plus tôt. Cette manière de penser, on le sait, est à la base de la fameuse théorie de Rostow. L’évolution vers ce qui est considéré comme l’idéal tend à répandre une manière de vivre centrée sur le vécu des sociétés-modèles. L’«American way of life» en particulier est vite assimilé à un stade de progrès universel. C’est ce que Brzezinski tenait pour établi : «Plus le revenu par habitant d’un pays est élevé, plus il semble qu’on puisse lui appliquer le terme d’américanisation. Ce qui montre que les formes extérieures de comportement qui caractérisent l’Américain d’aujourd’hui sont moins déterminées par des facteurs culturels qu’ils ne sont l’expression d’un certain niveau de développement urbain, technique et économique». (8)

Le monde se laisse prendre dans l’engrenage d’un syllogisme redoutable : les peuples extra-occidentaux aspirent au développement économique – l’Occident est aujourd’hui développé – donc ces peuples doivent se régler sur l’Occident. Le sous-développement est ainsi défini d’une manière négative par rapport aux critères de l’instance dominante. C’est un état de «non-moi», une situation hors du monde normal. Ipso facto, la dynamique de développement implique toujours une intégration au système de références occidental. Certes, la dépendance économique en elle-même conduit involontairement à l’imitation plutôt qu’à la création de rapports nouveaux, mais il parait clair que tel ordre culturel tend à induire telles conditions économiques. Par exemple, le dualisme du système de production s’inscrit en toute logique dans un contexte de dualisme culturel. Le premier repose initialement sur le second. 


Là où le mouvement de transformation obéit à des schémas exogènes, c’est dans la sujétion entretenue à l’égard d’intérêts étrangers que réside l’obstacle majeur à une véritable émancipation. Parce que nous en avons la possibilité matérielle et que nous refusons le repli sur soi, est-il naturel que les modèles surimposés deviennent l’axe essentiel de notre action ; est-il naturel de faire prévaloir le décalque de pratiques toutes faites sur l’assimilation des principes qui les fondent, de consacrer l’égocentrisme occidental ? Il ne s’agit pas ici de laisser entendre que toute référence à l’expérience de l’autre est en soi aliénante. L’occidentalisation en Turquie kémaliste a malgré tout permis la modernisation de l’agriculture, la restauration des voies ferrées et des routes, comme la rénovation de l’outillage industriel. A contrario, il ne faut pas se dissimuler que la Constitution aux Philippines, calquée sur le modèle américain, est regardée comme un moyen permettant de préserver la continuité des rapports avec l’ancienne métropole.

D’aucuns diront : l’Europe qui a adopté le self-service, les drugstores et le système universitaire américain est-elle inhibée pour autant ? Pour apprécier le sens d’une telle objection, il convient de souligner avec force que l’industrialisation de l’Europe aux 18-19èmes siècles était le fait d’une bourgeoisie liée organiquement à la problématique et champ de référence locaux. Il s’agissait bien de forces inhérentes au milieu d’appartenance… Au surplus, en remontant l’histoire, on s’aperçoit que les innombrables emprunts à l’Orient civilisé avaient permis à l’Europe d’évoluer à son tour selon ses propres voies et son propre génie. Comme le note Childe, «les Occidentaux n’étaient point de serviles imitateurs. Ils adoptaient les dons de l’Est et unissaient les acquisitions […] en un tout nouveau et organique capable de se développer sur ses propres lignes originales». (9) C’est cela l’enseignement capital qu’il importe de souligner.

Thami BOUHMOUCH
Novembre 2017
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(1) Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, discours sur l’histoire universelle, trad. Vincent Monteil, éd. Sindbad 1978, pp. 291-292.
(2) Hélé Béji, Désenchantement national. Essai sur la décolonisation, Maspéro 1982, p. 17.
(3) Jacque Austruy, Le scandale du développement, éd. Rivière et Cie 1972, p. 199.
(4) J. Ziegler, Main basse sur l’Afrique. La recolonisation, Seuil 1980, p. 234.
(5) Edson Carneiro, cite par Jean Ziegler, Retournez les fusils : Manuel de sociologie d’opposition, Seuil 1981, p. 27.
(6) Il s’agit de C. N. Yang (Prix Nobel de physique), cité par Harry Magdoff, L’impérialisme de l’époque coloniale à nos jours, Mapéro 1979, p. 259. Je souligne.
(7) Samir Amin, Le développement inégal, éd. de Minuit 1973, p. 269.
(8) Zbigniew Brzezinski, La révolution technétronique, Calmann-Levy 1971, p. 54. La théorie de la convergence, développée aux Etats-Unis par l’auteur, est adoptée en France par R. Aron. Bien d’autres approches donnent à penser que l’évolution est unilinéaire. T. Parsons notamment affirme que toutes les sociétés humaines tendent vers le même type de société, incarné par le modèle américain («the best in the world»).
(9) Gordon Childe, De la préhistoire à l’histoire, Gallimard 1961, pp. 9-10. Je souligne.


10 octobre 2017

CULTURE ET ECONOMIE : L’INTERPENETRATION



Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale 


Les valeurs et motivations propagées par les mass media et les firmes transnationales aboutissent à créer un modèle de consommation en quelque mesure unifié. Les techniques de marché concourent en effet à engendrer un monde qui mange, boit, utilise des produits identiques. On tend aujourd’hui à concevoir les mêmes annonces publicitaires à travers les continents, avec les mêmes thèmes et images, les mêmes références culturelles. Parce que le message publicitaire est le même aussi bien au Nord qu’au Sud, l’unification des motivations et des goûts permet en fin de compte de réduire le coût des campagnes publicitaires.

L’Occident véhicule ses modes vestimentaires et alimentaires mais aussi ses rêves et ses fantasmes, «en espérant que le marché s’agrandira et l’american ou le french way of life seront adoptés parce qu’ils sont les meilleurs». (1) Il faut convenir que créer dans tel pays une High Business School ou une Ecole française de gestion c’est proposer un modèle, c’est orienter en dernière instance les échanges économiques. L’imprégnation culturelle des peuples conforte le sens unique de l’échange international et favorise l’écoulement des produits élaborés pour la prospérité des nations opulentes.
La culture devient bel et bien un lieu de lutte entre nations. L’élargissement de la connaissance des langues joue un rôle fort concret dans le jeu complexe de la domination. C’est en effet au travers de la compréhension de la langue que sont reçus et agréés les messages de toutes sortes (pas seulement culturels). Du point de vue strictement économique, l’hypothèque culturelle et linguistique est largement rentable pour le pays propagateur. L’impact de la langue sur l’économie est manifeste, même si l’on ne saurait faire abstraction de la contrainte politique. Les possibilités de collaboration supposent avant tout l’adhésion à une langue de travail commune.
Il tombe sous le sens que le choix de partenaires, d’équipements et de produits est fonction des facilités de communication et de négociation. Il est de fait naturel qu’un chef d’entreprise, un responsable commercial ou un décideur administratif se prononce pour les produits qui lui sont les plus familiers, pour les partenaires avec lesquels il sent des «affinités» intellectuelles. «On pense par exemple qu’un ingénieur africain francophone, formé en France, connaissant le matériel français, préférera celui-ci à du matériel allemand». (2) Les propositions de marchandises et de services, comme les modalités de règlement des transactions et des contrats commerciaux sont soumises à l’influence décisive de la langue et des facilités de dialogue. Les nations industrielles savent que leurs langues sont le meilleur représentant de commerce possible. Les échanges intellectuels et culturels concourent largement à créer dans les pays du Sud des zones d’influence privilégiées pour l’un ou l’autre des centres métropolitains.


Economie et culture s’interpénètrent. S’il est vrai que les grands capitalismes s’attachent à poursuivre leur hégémonie économique, le problème – sur le plan culturel – consiste à mettre en œuvre, dans le pays ex-colonisé, des mécanismes de persuasion idéologique en vue d’affermir cette hégémonie. A ce titre, tout en sachant que des conditions économiques autant que politiques et pratiques participent à la pénétration et l’extraversion culturelles, il faut convenir que la langue dominante sert de courroie de transmission.
Dans les pays subjugués, traumatisés par les sujétions passées, les attitudes à l’égard de la puissance mère échappent d’ordinaire à la raison parce qu’elles se forment au niveau du complexe. Ces pays sont ravis d’importer et d’utiliser les nouvelles machines, bien qu’ils n’accèdent pas aux secrets cruciaux qu’elles recèlent. L’illusion est totale puisque la pensée scientifique qui engendre le moyen ne fait pas partie intégrante de la société. Il y a bien une confusion entre les causes et les effets – confusion inconséquente, doublée d’une fascination irrésistible face à la chose nouvelle, ignorant que celle-ci ne se substitue nullement au savoir. L’instrumentalité en elle-même ne constitue certainement pas un signe de progrès. L’important est que les traits sociaux et culturels puissent évoluer avec le fait technique dans une interaction harmonieuse.
Le fait est que la civilisation industrielle entend garder l’apanage de la connaissance scientifique, même si elle cède ici ou là quelques technologies parcellaires. Il est clair que «la volonté de se réserver un instrument de puissance domine toute sa démarche et étouffe toute velléité d’échanges réciproquement enrichissants». (3) Il ne faut pas se dissimuler que la science moderne évolue en se compliquant, le langage opératoire devient de plus en plus ardu. Plus s’écoule le temps, plus le savoir technique prend de l’ampleur et devient hermétique pour de nouveaux prétendants ayant à faire l’effort laborieux de rattrapage.
De ces observations se dégage une vérité d’évidence : la technologie ne s’enracinera jamais dans une société tant qu’elle restera sous la tutelle étrangère. L’allégeance à des modèles non autonomes donne lieu ipso facto à une importation de technologies, tant il est vrai que les recherches liées aux processus transposés s’effectuent dans le pays fournisseur. Prendre à son compte et consacrer l’égocentrisme occidental, c’est perpétuer la structure de domination économique. La sujétion psychoculturelle ne doit pas être considérée comme un simple «reflet idéologique» de la réalité « objective». Il ne suffit pas de dire que l’évolution des rapports marchands donne assise et reproduit l’état de dépendance ; celui-ci est également alimenté et entretenu par les caractéristiques psychologiques du pays dépendant.

A mon sens, le réel n’est accessible à la connaissance que par la saisie du système de référence culturel qui, en quelque mesure, le règle et le conditionne. Plutôt que de se méprendre à l’idée de saisir immédiatement des faits qui «parlent d’eux-mêmes», il y a avantage à tenter de rendre compte de l’ordre culturel qui trop souvent est tenu pour négligeable. S’agissant des pays ex-colonisés, cet ordre culturel c’est d’abord l’acculturation, la mystification de l’homme, l’accoutumance à la sujétion. Ce sont des éléments «extra-économiques» qu’il importe d’intégrer dans l’explication du fonctionnement économique de la structure inégalitaire.
Le processus de changement économique est certes conditionné par des modifications quantitatives, mais il est réglé d’avance par certaines qualités humaines, par une image de l’homme idéal. Il n’est pas seulement une réalité objective, mais aussi le résultat de conditions subjectives, de certaines options de valeurs. En un mot, il suppose la valorisation des comportements et des motivations. (4) Le problème du choix d’un modèle de développement – qui est posé sur le plan économique – est en son fond un problème culturel. Même le problème de l’endettement a une dimension culturelle : pourquoi s’endette-t-on ? Pour quel modèle de société et de consommation ? Pour quels peuples à promouvoir ?... Graves interrogations qui éloignent du champ économique conventionnel, mais qui sont au cœur de la problématique du sous-développement.
On s'aperçoit que les choix économiques sont commandés par des valeurs qui ne sont pas seulement économiques. Ainsi l’attachement d’une nation aux symboles peut engendrer l’intervention de l’Etat. La fierté nationale par exemple peut être à l’origine d’une subvention à un domaine d’activité, lorsque celui-ci est l’objet de fierté ; un tel sentiment peut susciter l’instauration de barrières douanières s’il consiste à ne pas importer (5). Il convient de ne pas oublier par ailleurs que les révolutions naissent non seulement de conditions «objectives», c'est-à-dire de rapports de force économiques, mais de conditions «subjectives», c'est-à-dire de la conscience des hommes, de leur culture ou de leur foi. Ainsi la révolution iranienne a été dirigée contre un modèle de croissance, au nom d’une vision religieuse du monde.
Il est indéniable en revanche que l’instance économique peut influer sur la diffusion de modèles culturels et de là sur les attitudes morales et les aspirations collectives. L’économique, avec sa propension à l’intégration à l’échelle mondiale, à l’uniformisation des produits et des significations, n’est pas en effet étrangère au phénomène de l’imprégnation culturelle.

En définitive, s’il y a lieu de montrer l’impact du culturel dans divers secteurs de la vie humaine, on se doit de dénier toute validité aux raisonnements organisés en termes de causalité simple. Les situations concrètes ne dépendent exclusivement ni des données structurelles (ressources naturelles, technologie…), ni du contexte culturel (valeurs, attitudes morales, aspirations…). C’est le fruit d’une action conjuguée, d’une pluralité de facteurs représentant diverses faces de la réalité et de leur impact réciproque.
Le primat de la base économique doit donc être nuancé. L’observateur de la vie économique est amené à saisir les faits sous l’angle d’une causalité complexe et multiple. Il peut prétendre à une certaine rectitude intellectuelle s’il se fonde sur le principe de corrélation entre les facteurs impliqués. Loin d’être un mouvement purement technique, le changement social est et sera toujours l’aboutissement d’une interaction de facteurs structurels et culturels.


Thami BOUHMOUCH
Octobre 2017
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(1) J.- Y. Carfantan & C. Condamines, Qui a peur du Tiers-Monde ? Rapports Nord-Sud : les faits, Seuil 1980, p. 160.
(2) M. Bialès & R. Goffin, Economie générale, tome 2, éd. Foucher 1987, p. 57.
(3) Mamadou Dia, Islam, sociétés africaines et culture industrielle, Les Nouvelles éditions Africaines 1975, p. 120.
(4) Cf. article précédent : Préserver et consolider les liens de subordination culturelle : quel est l’enjeu ? https://bouhmouch.blogspot.com/2017/06/preserver-et-consolider-les-liens-de.html
(5) Cf. sur ce point Charles Kindleberger, P. Lindert, Economie internationale, éd. Economica 1981, pp. 176-177.

30 août 2017

CLIENTELISATION DES ELITES ET NON-DÉVELOPPEMENT



Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale 


Autrefois le colonisateur devait occuper militairement le territoire conquis et de là assumer les charges et tiraillements de la cohabitation forcée. Aujourd'hui, il a toujours prise sur ce territoire, mais la responsabilité de la gestion du quotidien est transférée formellement à quelques notables locaux, à ceux qu’il a lui-même créés et qu’il continue de subjuguer par la violence symbolique.

Les ex-métropoles semblent à première vue fonder leur emprise sur la base passive de sociétés sans résistance. C’est une conception erronée. La domination externe s’appuie sur des relais sociaux vivant au sein de la société subordonnée (1). Envisager en effet l’hégémonie occidentale comme un rapport purement exogène, c’est camoufler le rôle essentiel que ces supports locaux ont joué jadis et jouent de plus en plus aujourd'hui. La reconduction des rapports de sujétion, outre l’emprise sur les consciences, s’accomplit bel et bien par un processus de clientélisation des élites.
Les valeurs et modèles de la puissance mère sont non seulement imposés mais désirés par tous ceux qui y voient un moyen d’accès au prestige social et au pouvoir. A ce titre, Baltra-Cortès écrit : «La dépendance suppose […] un rapport horizontal dans le cadre duquel se produit un accord, une alliance entre les groupes dominants des deux sociétés». (2) En d’autres termes, c’est également une condition endogène – en ce sens que c’est l’élite politique et intellectuelle qui, à temps et à contretemps, se met à la remorque de l’instance dominante. Les grandes firmes ne seraient pas à même d’exercer leur influence si les minorités privilégiées n’étaient pas disposées à les assister et à partager les bénéfices avec elles.

C’est dire que l’ancien colonisateur est amené naturellement à soutenir ces minorités psychologiquement et économiquement assujetties. N’est-ce pas là un moyen infaillible et relativement «bon marché» de conserver un pays sous tutelle ? Car pour préserver les anciens liens économiques, il ne s’agit pas seulement d’établir une série d’accords officiels, il faut aussi maintenir les groupes dirigeants locaux dans une aura de néocolonialisme culturel. Cela, en tout cas, fait obstacle à l’émergence d’un secteur disposant d’aptitudes propres et de la confiance en soi indispensable à tout progrès véritable.
La formation acquise par l’élite dans l’ex-métropole est un fait décisif. Ki-Zerbo est de cet avis : «l’éducation […] est une des pièces maîtresses  du dispositif de domestication que l’impérialisme et le néocolonialisme installent dans les fiefs qu’ils dominent». (3) L’un des atouts majeurs de la puissance mère en effet, celui qui lui vaut tant d’alliés influents dans son Empire informel, réside en somme dans ce modelage culturel. «Par le fait qu’elle [la culture] lui soit désormais intégrée aussi intimement, elle est devenue un allié de premier plan pour la reproduction du système». (4) Il ne s’agit nullement ici de minimiser le poids des alliances purement politiques, mais pour que l’analyse reste rigoureusement axée, cet aspect est laissé de côté.
L’exportation de modèles linguistiques et culturels se révèle donc un puissant instrument de clientélisation des élites et, par là, de domination indirecte. Dans le cadre d’un processus dépendant – organisé et réglé par les firmes transnationales – l’emprise culturelle sur les élites s’enracine, pendant que s’accentue la marginalisation des masses populaires. On aboutit ainsi à une sorte de nivellement de la personnalité nationale, jusqu’au point où elle devient globalement conforme aux intérêts du pouvoir étranger. Il est clair d’ailleurs que le groupe social subordonné désire par dessus tout préserver ses propres intérêts. L’économie a bien besoin de la culture.
Le recours aux produits et au savoir-faire de la nation mère procède d’une démarche dont le principe se trouve au fond dans l’adhésion à des significations et un ordre culturel. Il faut reconnaître qu’en pratique la ligne de démarcation entre la nécessité objective d’une transaction économique et le simple réflexe de fidélité à une instance culturelle est bien souvent difficile à trancher. Une langue n’est pas seulement un vocabulaire et une syntaxe. L’élite subjuguée n’a pas fait qu’apprendre une langue ; elle a également adopté une normativité, des comportements, des aspirations ; par là même, elle se coupe du reste de la collectivité… Une telle impasse culturelle est-elle de nature à favoriser l’émancipation économique ?

Il est possible de soutenir – l’exemple du Japon le confirme – que les sujets générateurs de progrès sont nécessairement intégrés à leur environnement social. Toute personne socialisée appartient à la famille, au groupe, à la nation. Elle partage avec les autres membres de la collectivité des besoins, des manières de faire, des activités… Une telle conformité psychique et culturelle permet à une nation de se maintenir et de durer. Dans les formations du Sud, où manifestement la désarticulation culturelle est la tendance générale, la langue étrangère est une sorte de «bien de production» utilisé pour le développement privilégié d’une minorité en rupture avec les masses. (5) Comment des cadres censés transformer les attitudes peuvent-ils se faire comprendre par la population s’ils ne disposent pas d’une langue commune ?
En raison de l’infériorité qu’il ressent historiquement l’ex-colonisé s’anormalise ; il est souvent porté à entretenir l’atmosphère de dépréciation et de réduction dans laquelle il vit. Il n’est peut-être pas faux de dire qu’à trop porter la livrée de l’autre, à trop s’auto-déprécier, on nourrit le fatalisme. Les nations subjuguées s’accommodent du «téléguidage» de leurs conditions d’existence ; elles demandent leur chemin à ceux-là mêmes qui assoient leur vassalisation. L’assistance technique, dont on tire vanité aujourd’hui, accentue la mystification des hommes et, à bien des égards, tend à étouffer leurs capacités de résistance. L’expert étranger bénéficie d’un pouvoir psychologique certain du fait qu’il est porteur de valeurs magnifiées et du fait que la coopération est conçue à sens unique.
La coopération enseignante établie au lendemain des indépendances nominales a un coût économique (transferts) et financier (traitements), mais son coût sociopolitique et psychologique est plus élevé : confirmation d’une minorité privilégiée, affermissement du fractionnement social, aliénation… «Quand la culture étrangère domine le pays, c’est-à-dire quand elle sert d’instrument de gestion à son administration, à son économie, quand elle sécrète la logique de l’organisation et des options nationales, la coopération devient un élément fondamental dans le renforcement des antagonismes sociaux et joue en faveur des catégories privilégiées» (6) On affectait de croire à l’efficacité objective de la coopération, mais le recours à un personnel inadéquat et sous-qualifié nourrissait l’illusion. Il arrivait que le coopérant soit lui-même conscient  de son inanité professionnelle. H. Aron en disait ceci : «Une très large fraction des partants en coopération enseignante se trouve dans la position de vrais néophytes de l’enseignement, parfois même de néophytes complets de l’activité professionnelle rémunérée». (7)
Pour les générations montantes, un vide culturel se forme, avec toutes ses conséquences psychiques et matérielles. La dépersonnalisation est ressentie comme une «sortie» de soi vers un nulle part. Il y a là un phénomène psychosocial lourd de conséquences dans l’ordre économique. L’élaboration d’une dynamique de changement est entravée, pour une large part, parce que le dominé subit une déviation existentielle et parce que les groupes dirigeants sont profondément attachés au pouvoir étranger.

C’est dire que si l’alliance entre les minorités privilégiées et l’instance étrangère constitue un des plus grands obstacles sur la voie d’une évolution autonome, la superstructure psychologique peut être considérée comme une source importante de résistance au changement.

Thami BOUHMOUCH
Août 2017
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(1) Cf. mes articles précédents : Ordre néocolonial [2/3] : le nouveau visage de l’hégémonie https://bouhmouch.blogspot.com/2016/11/ordre-neocolonial-23-le-nouveau-visage.html ; Formation des élites de l’après-colonisation : dissonance et sujétion https://bouhmouch.blogspot.com/2017/03/formation-des-elites-de-lapres.html
(2) Alberto Baltra-Cortès, Le Chili et sa dépendance, Economie appliquée, tome xxiv n° 4, 1971, p. 680.
(3) Cité par Georges Chatillon, Science politique du Tiers-Monde ou néo-colonialisme culturel, Annuaire du Tiers-monde, tome II, 1975-1976, Berger-Levrault, p. 129.
(4) Marie-Josèphe Parizet, La culture, terrain d’affrontement, Projet, sept. 1978, p. 956.
(5) Ce ne fut pas le cas du Japon, ni celui de la Chine.
(6) Fathallah Oualalou, Le Tiers-Monde et la troisième phase de domination, Editions Maghrébines 1973, pp.124-125.
(7) Henri Aron, Une dysfonction majeure : l’enseignement en coopération, in Carmel Camilleri & M. Cohen-Emerique (dirigé par), Chocs de cultures, concepts et enjeux pratiques de l’interculturel, L’Harmattan 1989, p. 279.

22 juin 2017

LES LIENS DE SUBORDINATION CULTURELLE : QUEL EST L’ENJEU ?


Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale

«Si on se passe des Français, c’est comme si on les agresse»
Laurent Gbagbo, ex-président ivoirien


S’il est vrai que l’emprise néocoloniale est soutenue par les rapports marchands, elle est également réglée et nourrie par un ensemble d’actions de conditionnement psychoculturel. Les nations du Sud sont promises à l’invasion de biens économiques suivant les voies tracées par la pénétration culturelle. La dépersonnalisation de l’individu, en favorisant l’alignement intellectuel, fait obstacle au développement des capacités propres de création. L’impérialisme culturel n’est pas un vain mot.

L’économique, foncièrement gouvernée par les pensées, se situe par rapport au phénomène humain ; elle a affaire avant tout à l’homme. Or il n’y a pas d’hommes sans société, comme il n’y a pas de société sans un système de références culturel qui traduise l’expérience collective et réponde aux questions essentielles que l’on se pose. Les valeurs et significations que la société propose à ses membres s’organisent en un système qui présente une certaine cohérence, même s’il comporte quelques contradictions. La culture nationale est ainsi définie à partir du contexte social et historique propre à une collectivité ; elle exprime la conscience, l’état spirituel des membres de cette collectivité en tant que totalité. (1) Elle est liée organiquement à la lutte des peuples contre l’assujettissement sous toutes ses formes.
On sait que les valeurs expriment une manière d’être ou d’agir ; en tant qu’idéal, elles orientent les pensées et les actes, elles sous-tendent une attitude générale. Même si elles se situent dans l’ordre moral ou intellectuel, elles sont donc impliquées directement dans la pratique matérielle. Comme le note Rocher, «la valeur n’est pas moins réelle que les conduites ou les objets dans lesquels elle se concrétise ou par lesquels elle s’exprime. L’univers des idéaux est une réalité pour les personnes qui y adhèrent ; il fait partie d’une société aussi bien que les immeubles ou le système routier». (2)
L’économiste, qui s’en tient d’ordinaire à la quantification, ne saurait perdre de vue que «le genre de vie est lui-même normatif et [que] les valeurs sont immanentes à la pratique». (3) Il se révèle que l’adhésion à des valeurs données nait d’un ensemble complexe de dispositions d’esprit dans lequel l’affectivité joue un rôle important. Or c’est précisément ce caractère d’affectivité que revêt la valeur qui en fait un puissant facteur dans l’orientation de l’action humaine.

Le système international est foncièrement marqué par l’inégalité. Entre les nations, les inégalités objectivement observables ont trait aux ressources, aux structures économiques, aux conditions démographiques, au savoir technique, etc. Cependant, les raisons de telles inégalités ne tiennent pas seulement aux grandeurs mesurables – aussi importantes qu’elles puissent être. Elles procèdent aussi des mécanismes subtils de la persuasion idéologique auxquels sont soumis les pays anciennement colonisés. L’extraversion culturelle, l’emprise sur les consciences, la mystification des hommes tendent à perpétuer la structure inégalitaire.
Une nation, peut-on dire, qui ne réagit pas contre la domination morale et culturelle devient fragile et vulnérable aussi sûrement qu’une nation dont les défenses matérielles sont déficientes. Sans sentiment d’identité, une collectivité tend à se désagréger. «Je ne parle pas en termes d’indices ou de niveau de vie, mais en termes d’être, au sens métaphysique du terme». (4) Destinée à l’homme antillais, cette remarque mériterait  d’être reprise ici sur un plan plus large. C’est en devenant moins vulnérable et plus assurée que la voix des pays du Sud pourrait se faire entendre. Il ne s’agit nullement d’une approche magique du réel. Cette exigence morale est nécessaire, pas suffisante.
Un des moyens de mettre en lumière ce propos peut-être fourni par l’exemple du Japon. Il est établi qu’à l’arrivée des navires américains (1853), les Japonais constituaient un groupe culturel homogène. Ils ont pu accueillir l’influence occidentale sans la subir. Ce pays, qui a le plus jalousement gardé son identité culturelle, peut se prévaloir aujourd’hui d’être une grande puissance scientifique. «Alors qu’il lui était possible de confier la conduite de ses affaires à une direction étrangère durant la période critique des débuts de son développement, il a renvoyé chez eux ses guides étrangers, avec tout le cérémonial et tous les remerciements qui leur étaient dus, et des hommes et des institutions indigènes les ont remplacés». (5)
C’est qu’au fond le développement traduit l’idée que se font les hommes de la forme qu’ils voudraient donner à leur existence ; et cette idée n’est pas, ne peut pas être partout la même. Ce mouvement complexe ne sera jamais un mouvement purement économico-technique. Au-delà des conditions «objectives», il est aussi le résultat de conditions «subjectives» – celles qui naissent non des faits et mécanismes économiques, mais de la conscience de l’individu, de ses motivations, de son état d’éveil et d’exigence… A terme, le besoin et la volonté d’émancipation culturelle sont bel et bien nécessaires à l’évolution des sociétés.
Comment, sous ce rapport, appréhender le phénomène général de la domination externe ?

L’Occident, poussé par une sorte d’atavisme psychoculturel, œuvre  pour créer les conditions irréversibles de la dépendance. Des habitudes s’instaurent : une assistance multiforme est volontiers accordée, des programmes et les méthodes à suivre sont prescrits dans le cadre de la «coopération». «L’appropriation qui en résulte atteint même la conscience du bénéficiaire qui s’en trouve aliénée, tandis que celle du bienfaiteur se renforce dans son autosatisfaction. […] Même ceux qui préfèrent enseigner à pêcher plutôt que d’envoyer du poisson n’échappent pas à cette contradiction». (6)
Il apparaît que la civilisation industrielle se fonde sur un processus d’aliénation individuelle et collective, que ce processus tend à se déplacer de la sphère interne – au sein du groupe social – à la sphère externe – entre nations, entre Etats. C’est parce que les élites ex-colonisées sont dans la mouvance de la culture et de l’idéologie de la puissance mère qu’elles n’ont jamais pu s’engager dans une dynamique à caractère émancipateur
Et si la mystification des hommes et l’infériorité qu’ils ressentent historiquement n’étaient que l’émanation des conditions objectives de la domination technico-économique ? Telle qu’elle est formulée, cette objection parait mal fondée. N’envisager la prépondérance culturelle, l’abaissement des cultures que comme la projection mécanique de l’ordre économique, c’est souscrire à une conception de la superstructure-reflet, totalement infructueuse sur le plan théorique comme sur le plan politique.
Le primat de la base économique doit être nuancé. Adopter une conception strictement déterministe et causale des rapports humains c’est un peu tronquer la réalité des faits. Il s’avère que les nations dominantes ont besoin de trouver une justification à leur statut privilégié, à leur ascendant et à leurs pouvoirs. Le dirigisme culturel qu’elles imposent est pour elles justificatif et rassurant – par la présentation apologétique de leurs modèles et par la perception dévaluée de la société qui leur est soumise.
On conçoit alors que la France, renonçant à l’établissement colonial, ait voulu garantir le caractère spécifique de ses relations avec ses ex-colonies. Une attention appuyée est portée aux nouveaux Etats dont les élites s’expriment dans sa langue. Là se trouve l’élément de continuité. Sur ce plan, l’impérialisme culturel français est exemplaire : la poursuite active d’une politique de la francophonie, notamment en Afrique, montre l’intérêt considérable accordé aux facteurs culturels. Cette politique fait son chemin aujourd'hui dans l’équivoque et le flou d’idées avenantes. Il est manifeste cependant qu’elle n’est pour la France qu’une action à sens unique, qui lui permet de préserver et consolider son influence.

L’hypothèque socioculturelle gagne en intensité et devient l’élément fondamental de la nouvelle forme de tutelle étrangère, car elle permet d’amarrer à long terme sur les plans économique et culturel la société ex-colonisée à l’instance dominante. Bien plus, il se révèle que la tutelle culturelle est la plus néfaste, en ce sens que tendanciellement elle précède et non s’ajoute à la tutelle politique et économique. L’exemple évoqué par Lipietz est significatif à cet égard : «les Etats-Unis imposèrent leur modèle de développement, culturellement d’abord, financièrement ensuite (avec les plans Marshall et Mac Arthur), institutionnellement enfin (avec les accords de Bretton Woods, la création du GATT, du FMI, de l’OCDE)» (7)
C’est le constat que fait Cherkaoui : «l’impérialisme culturel est plus pernicieux, plus néfaste que toute autre forme d’impérialisme. En conséquence, c’est cette prééminence du culturel sur le social, l’économique ou le politique qui doit sous-tendre notre action dans tous les domaines». (8) S’il y a en effet une bataille à mener à l’échelle des nations, elle doit l’être pour la défense du pluralisme et la sauvegarde de l’identité culturelle… Il convient d’ailleurs de noter que l’Occident lui-même n’échappe pas à un tel impératif. D’aucuns, ici et là, n’ont-ils pas fustigé un «Occident en crise, incapable de préserver son identité» et la transmettre aux jeunes générations ? La nécessité de contrer l’invasion culturelle/médiatique étrangère s’est fait sentir en particulier en Europe. On se rappelle qu’en 1990 un plan unifié a été élaboré en vue de contingenter les programmes de télévision non européens et d’encourager les productions locales – cela dans le but clairement exprimé de contenir l’hégémonie culturelle américaine.
En définitive, si le «retour du national» gagne des pays puissants – qui prêtent moins le flanc au dirigisme culturel – que dire des autres ?... Le refus de l’extraversion culturelle est certes loin d’être un phénomène contre-nature.

Thami BOUHMOUCH
Juin 207
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(1) Cf. article précédent : Economie et culture, les raisons d’une réconciliation https://bouhmouch.blogspot.com/2016/06/economie-et-culture-les-raisons-dune.html
(2) Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, volume 1 : L’action sociale, éd. HMH Points 1968, p. 72.
(3) Osiris Cecconi, Croissance économique et sous-développement culturel, PUF 1975, p. 8. Je souligne.
(4) Aimé Césaire, entretien in Le Monde du 6 décembre 1981.
(5) James A. Dator, La science et la technique dans la société japonaise, in Ch. Morazé, La science et les facteurs de l’inégalité (ouvrage collectif), Unesco 1979, p. 203.
(6) J.- Y. Carfantan & C. Condamines, Qui a peur du Tiers-Monde ? Rapports Nord-Sud : les faits, Seuil 1980, p. 132.
(7) Alain Lipiedtz, Mirages et miracles, problèmes de l’industrialisation dans le Tiers-Monde, éd. La Découverte 1986, p. 38. Je souligne.
(8) Abdelmalek Cherkaoui, Futur sans fatalité, planification renouvelée et projet de société, éd. Edino 1985, pp. 241-242.




25 mai 2017

SYSTÈME ÉDUCATIF EXTRAVERTI ET SOCIALISATION A LA DÉPENDANCE


Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale


Le présent papier – à la suite des quatre précédents – cherche à mettre en évidence les implications concrètes dans l’ordre socioéconomique des divers aspects de l’extraversion des systèmes éducatifs. Le phénomène de domination néocoloniale se nourrit de l’état de sujétion du système éducatif national et de la formation des élites dans l’ex-métropole, comme de l’autodépréciation du patrimoine culturel endogène. Tout concourt à faire accepter le discours hégémonique de la puissance mère.

Un système d’enseignement qui dispense un savoir éloigné de la réalité vécue tend à consolider la subordination. (1) L’apprenant est constamment tiraillé entre ses ancrages culturels et un champ de références auquel il ne parvient pas à s’identifier ou cherche à s’identifier de manière factice et affecté. Dans l’espace sous-développé en effet, l’école instaure une sorte de dichotomie entre le langage du savoir dispensé et le langage de la vie quotidienne. Or l’éducation ne peut assumer un rôle moteur dans l’économie que si son contenu, largement entendu, est conçu à cet effet. Elle doit résulter d’une évolution endogène, non emboîter le pas machinalement à des modèles importés. Il faut non seulement acquérir des connaissances mais également apprendre à s’insérer dans un microsystème social et culturel spécifique.
A la réflexion, le problème n’est pas tant le manque d’écoles que leur fonctionnement mystificateur. L’utilisation intensive et systématique d’une langue autre que la langue maternelle constitue un handicap qui pèse en particulier sur les catégories défavorisées (un péril mis en avant par l’UNESCO il y a déjà trente ans). Les méfaits du mimétisme débridé et des modèles d’éducation importés sont alors considérables, car l’écolier est coupé de son milieu socioculturel et de son langage affectif.
Les élites se sentent intellectuellement en dehors du groupe social qu’elles sont censées servir et promouvoir. (2) Le plagiat contribue à les détourner des véritables priorités nationales et approfondit la tutelle occidentale. Ce problème est perçu depuis longtemps : «Ainsi, des hommes qui n’ont pas résolu l’ensemble de leurs propres contradictions internes ont pour mission de transformer les attitudes de leurs compatriotes, de libérer les énergies et de provoquer le "décollage économique". On conçoit qu’ils éprouvent quelques difficultés à y parvenir»… (3)
Un enseignement mécaniquement transplanté conduit fatalement à l’impasse du divorce avec les attaches culturelles. La reproduction de manuels étrangers, non seulement elle heurte le bon sens mais immanquablement elle dévie des exigences de la réalité vécue. En cherchant à assimiler les principes et significations transmis, les ex-colonisés entendent prouver – par l’absurde – qu’ils peuvent traiter d’égal à égal avec les nations dominantes. On sait que leurs vœux ne sont pas exaucés, tant ces nations voient les choses différemment…

Etudier le phénomène général de la déviance/extraversion revient là encore à s’interroger sur les rapports entre le culturel et l’économique. Il apparaît que la coupure particulièrement prononcée entre la masse et la minorité imitant l’Occident se projette dans la vie sociale et économique. La structure dualiste, qu’analyse volontiers l’économiste, n’est-elle pas liée dialectiquement à ce clivage ? L’une et l’autre ne fonctionnent-ils pas de concert ? Entre l’intelligentsia déracinée et la multitude, qui ont chacune leurs règles de fonctionnement propres, les contacts sont à coup sûr limités. Le bilinguisme – tel qu’il est adopté dans bien des cas – introduit et entretient un séparatisme néfaste dans le tissu social. Si l’on conçoit que toute dynamique de progrès dépend de façon décisive des hommes et de leurs dispositions d’esprit, alors on doit concevoir à quel point une telle dichotomie et pernicieuse.
Les anciennes métropoles, en formant les cadres des pays décolonisés, maintiennent largement leur influence et consacrent du même coup leurs intérêts politiques et économiques. En Afrique, l’accession de dirigeants francophones et francophiles aux postes de responsabilité a permis de mettre en œuvre  une «coopération» particulièrement prometteuse – ce qui constitue à coup sûr un atout maitre pour la France.
C’est souligner combien il est impératif d’agir globalement sur tous les freins qui s’opposent à une véritable émancipation, dont l’un des plus sérieux tient au caractère peu représentatif des dirigeants. Il n’y a pas lieu de parler d’entité nationale, ni d’économie nationale lorsque le groupe social n’est pas articulé, autocentré. De même, «un développement économique d’ensemble n’est pas possible dans un espace où deux groupes ont des caractères, des comportements et des objectifs profondément différents, sinon contradictoires». (4)
Ainsi se dégage un enseignement majeur : le système éducatif, tel qu’il est conçu dans les nations subordonnées, maintient celles-ci dans l’orbite de l’exploitation et de la dépendance. Certains contenus et supports pédagogiques font partie bel et bien d’un immense mécanisme ethnocidaire. L’idée est de faire admettre la toute puissance de l’Europe et le bien-fondé de son action, de perpétuer les modes de pensée inégalitaires. L’efficacité du discours de persuasion tient au fait qu’il est véhiculé sous couvert «scientifique», donc prétendument objectif. L’économiste, qui entend cerner l’action de domination, ne doit pas exclure ces éléments de l’analyse.

Les normes et idéaux que les manuels mettent en jeu, le mimétisme appauvrissant et sans nuances qu’ils véhiculent sont inculqués aux enfants dès leur jeune âge. Dès l’école en effet, la structure inégalitaire est instituée et intériorisée dans les esprits. Introduire dans les écoles marocaines des contes et des comptines destinés aux enfants français ne constitue-t-il pas une grave erreur d’éducation ? On sait que la petite enfance est la période la plus intense de socialisation ; c’est celle où l’individu est le plus «plastique», le plus perméable au conditionnement socioculturel. On sait également que les perceptions mentales de l’enfance réapparaissent à l’âge adulte dans le comportement quotidien, à tous les niveaux.
Peu à peu, on voit se former et se cristalliser chez le futur citoyen un sentiment à la fois de reconnaissance et d’auto-réduction. (5) De façon explicite ou implicite, il apprend qu’aux yeux du monde riche toute société ex-colonisée est affligée de déficiences immanentes et qu’en conséquence elle ne peut que s’adonner aux activités les moins sophistiquées. Il apprend qu’une infranchissable distance le sépare de l’ex-colonisateur, que celui-ci a le pouvoir de le diriger et de l’assujettir. Voilà pourquoi les leaders des nouveaux Etats trouvent «normal» de faire appel, encore et toujours, aux experts et techniciens de l’ex-métropole, de se tenir à l’écart de nombre de productions élaborées. Peut-être pourrait-on, sous cet angle inhabituel, aborder le phénomène – foncièrement assumé –  de la division internationale du travail. A mon sens, le partage des rôles à l’échelle mondiale a nécessairement des soubassements psycho-intellectuels qui le favorisent, le justifient et le perpétuent.
L’impact sur l’ordre établi de systèmes éducatifs dénaturés et aliénants apparaît donc clairement dans les relations entre pays. En empruntant à la puissance mère ses représentations et ses prototypes, les ex-colonisés lui empruntent également sa vision des choses, c'est-à-dire une vision inégalitaire, consacrant le mécanisme d’exploitation internationale.


Thami BOUHMOUCH
Mai 2017
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(1) Cf. à cet égard : Système éducatif et conceptions importées en situation néocoloniale https://bouhmouch.blogspot.com/2017/04/systeme-educatif-et-conceptions.html
(2) Voir sur ce point : Formation des élites de l’après-colonisation : dissonance et sujétion https://bouhmouch.blogspot.com/2017/03/formation-des-elites-de-lapres.html
(3) P. Moati et P. Rainaut, La réforme agricole, clé pour le développement du Maghreb, Dunod 1970, p.123.
(4) Maurice-Pierre Roy, Les régimes politiques du Tiers-monde, LGDJ 1977, p. 146.
(5) Cf. à ce propos : Inclination autoréductrice en situation néocoloniale https://bouhmouch.blogspot.com/2017/05/inclination-autoreductrice-en-situation.html

8 mai 2017

LE PATRIMOINE CULTUREL COMME MOYEN D’ENRACINEMENT ET D’EMULATION COLLECTIVE


Série : Assise culturelle de l’exploitation néocoloniale


Le papier précédent a cherché à montrer que le changement économique est le fait de sujets pleinement conscients de leur individualité historique et ayant la ferme volonté de prendre part à la civilisation industrielle. L’individu subjugué, marqué par une inclination autoréductrice, tend à renoncer à son histoire et à ses ressorts culturels propres. Or le sentiment d’émulation collective exige qu’il soit désaliéné et acquière la confiance en lui.
C’est là qu’apparaît la nécessité, pour les grandes cultures aujourd’hui dominées, de prendre conscience de leurs réalisations et hauts faits du passé, de leurs contributions dans le savoir universel. Selon le mot de Ki-Zerbo, «vivre sans histoire, c’est être une épave ou porter les racines d’autrui. […]. C’est, dans la marée de l’évolution humaine, accepter le rôle anonyme de plancton et de protozoaire». (1)
Le salut des pays musulmans ne pourrait naitre des perspectives aliénantes de l’acculturation. Il procédera uniquement d’un retour réfléchi et agissant aux sources historiques de la civilisation musulmane. Car, si la valorisation du passé parait légitime et rationnelle, elle est destinée sur le plan psychologique à compenser le sentiment général d’infériorité à l’égard de l’Occident. Appelés à relever des défis de taille, les peuples subordonnés sont tenus vaille que vaille de se libérer des blocages moraux, de compter sur eux-mêmes, de croire en eux-mêmes. Si telle nation ou ensemble de nations doit tenir sa vraie place dans le monde, il lui faut d’abord tenir sa vraie place dans la conscience de ses propres sujets. Nul processus de changement ne peut avoir lieu avant le développement du sentiment d’identité et d’unité.
Ainsi se dégage un impératif majeur : il faut être en mesure de «bien définir le profil de l’homme de demain que l’on souhaite former et le type de société que l’on se propose de créer afin d’en induire le système éducatif approprié». (2) Le rôle de l’éducation est décisif : on devient allemand, bolivien ou chinois grâce à une éducation et au partage d’une tradition commune. C’est pour garantir sa pérennité qu’une communauté humaine transmet ses traits sociaux et culturels à ses membres. Comme le souligne Durkheim, «il faut que l’éducation assure entre les citoyens une suffisante communauté d’idées et de sentiments sans laquelle toute société est impossible». (3)

Il convient d’insister : un peuple qui aspire à se constituer en nation s’attache d’abord à reprendre possession de son histoire, à faire état des exploits et réalisations des hommes qui en font partie. Valoriser le patrimoine culturel doit être perçu comme un moyen d’enracinement et de cohésion. Cela ne doit aucunement être confondu avec une quelconque forme de passéisme, une évasion dans le mythe. De toute évidence, on ne bâtit pas une nation sur la seule nostalgie des souvenirs d’hommes aussi illustres soient-ils.
La mémoire, ce n’est guère la porte ouverte aux scléroses et au narcissisme oiseux. Cela doit permettre de prendre conscience du retard et d’essayer de le rattraper. L’héritage du passé peut nous aider à éclairer notre présent, à mieux le comprendre ; il peut donner à nos actions l’indispensable arrière-plan historique et culturel. Enseigner Ibn Khaldoun, Ibn Batouta, Al-Batrouji (Alpetragius), Fatima Al-Fihri dans les écoles marocaines, c’est marquer que la pensée scientifique – un des paramètres des temps présents – fait partie du patrimoine culturel endogène. S’il faut naturellement acquérir les nouveaux savoirs, il est hautement important que le fond culturel soit revalorisé et ravivé. On gagne à le dynamiser et l’utiliser comme un levain, un levier, à inciter à la créativité, à décomplexer l’être social.
Faire cas du patrimoine culturel en effet n’aura un sens que si cela incite à l’imagination et à l’innovation, que si ce patrimoine est intégré dans un processus de progrès humain et technologique. Si la culture est mémoire et transmission d’un héritage, elle est aussi création. Il s’agit de faire évoluer l’héritage historique, de s’en inspirer à la lumière des exigences du présent, de le porter en somme du registre des sentiments au registre du réel.
De fait, la réflexion de Fanon ne me semble pas pertinente : «La découverte de l’existence d’une civilisation nègre au XVème siècle ne me décerne pas un brevet d’humanité. Qu’on le veuille ou non, le passé ne peut en aucune façon me guider dans l’actualité». (4) Le passé, si l’on ne se contente pas de la chanter, peut au contraire montrer la voie à une société qualitativement différente. Il peut être fécond d’y puiser l’inspiration du présent et du futur.
L’éducation doit retrouver sa double vocation qui consiste à favoriser l’enracinement dans le milieu d’appartenance, en accordant une place privilégiée aux valeurs endogènes mobilisatrices, tout en s’ouvrant sur un monde en constante évolution. L’aptitude des acteurs sociaux à se projeter dans l’avenir est à la fois une manifestation et une condition de progrès. L’humanisme à construire est respectueux des racines, mais non contemplatif ; il est ouvert sur l’avenir mais en même temps attaché à la singularité.


Les sociétés du Sud se doivent de prendre conscience de leurs ancrages culturels, de reprendre possession de leur histoire et leur être propre pour pouvoir ensuite prendre possession de leur avenir. Morishima est de cet avis : «Nul pays ne peut progresser s’il méprise son propre passé, lequel détermine le cours ultérieur de son développement». (5) Autant dire que la reconquête de l’indépendance est conditionnée par celle du passé.
La démarche prospective appliquée à la problématique du sous-développement ne saurait donc évacuer la dimension historique. Chaque société, à partir de sa dynamique antérieure, se singularise par des mécanismes de changement propres à elle. En ce sens, l’avenir se doit d’être exploré sur une base rétrospective solide. Il s’agit en somme d’opter pour une vision rétro-prospective, une vision à la fois historique et prospective.
En somme, c’est aux responsables de l’éducation et de l’enseignement qu’incombe la charge de transmettre aux générations montantes le patrimoine intellectuel de la nation, de mettre en exergue sa portée dans le développement de la connaissance universelle. Car l’essentiel n’est pas d’inculquer des connaissances, «il faut former des esprits qui […] réalisent l’harmonie entre ce qui est enraciné au plus profond d’eux-mêmes, qui est l’héritage du passé, et ce monde de machines qu’ils doivent dominer pour ne pas se laisser écraser par lui». (6)


Thami BOUHMOUCH
Mai 2017
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(1) Reproduit in Le Rapport mondial sur l’éducation, UNESCO 1991, p. 69.
(2) Samba Yacine Cissé, L’éducation en Afrique à la lumière de la conférence de Harare (1982) Etudes et documents d’éducation n°50, UNESCO 1985, p. 9. Je souligne.
(3) Emile Durkheim, Education et sociologie, PUF 1980, p. 59. Je souligne.
(4) Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Seuil 1975, p. 182.
(5) Mishio Morishima, Capitalisme et confucianisme. Technologie occidentale et éthique japonaise, Flammarion 1987, p. 284. Je souligne.
(6) Ahmed Taleb-Ibrahimi, in Anouar Abel-Malek, La pensée politique arabe contemporaine, Seuil 1975, p. 197. Je souligne.