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28 novembre 2012

DE L'EXIGENCE D'UN MARKETING A VISAGE HUMAIN



 «Le marketing porte en lui-même, par définition, toutes les caractéristiques d’un comportement éthique»  J.-P. Helfer


Le marketing est devenu, plus que jamais, une nécessité pour toute organisation moderne. Il n'est pas pour autant exempt de critiques et de réprobations. De là, l'entreprise peut-elle assumer une sorte de responsabilité sociale ? Un marketing à visage humain est-il possible ?...

Malentendus et tromperies
Le marketing est supposé suggérer un moyen, une façon de satisfaire les besoins, au mieux des intérêts de l'entreprise. Nous avons noté dans un article antérieur qu'il peut être utilisé à des fins plus ou moins morales. (1) On lui reproche notamment de raccourcir à dessein la vie des produits, de faire passer pour des innovations des changements mineurs ou factices, de manipuler les prix en proposant des baisses illusoires, de mettre sur le marché des articles déficients ou même dangereux, de favoriser dans les grandes surfaces les achats irréfléchis, d'émettre des informations ambiguës ou trompeuses (étiquetage, dépliants...), etc.
En particulier, on reproche à la publicité d'envahir les foyers par des messages aliénants, de focaliser l'attention sur le clinquant et le faux-semblant, de farder le superflu pour le rendre indispensable. L'annonce qui invite à la consommation s'adresse au subconscient. Le destinataire est conditionné, répond par des réflexes à des incitations émotionnelles répétitives. La publicité cherche à jouer sur les sentiments et les pulsions du consommateur ; elle s'ingénie à séduire et faire rêver. Elle pousse la masse à des achats qui, dépassant le cadre de besoins réellement ressentis, touchent un domaine obsessionnel. Une tendance factice prend forme. Le crédit est de plus en plus justifié par des besoins incontrôlés.
Depuis longtemps, on a pris conscience que la philosophie axée sur le marketing peut déboucher sur des outrances. Ainsi, nombre de produits recherchés par l'individu sont susceptibles de porter atteinte à sa santé et son bien-être (fast-food, tabac, sucreries...) ou de nuire à l'environnement (détergents non biodégradables, emballages non récupérables...). Dans le monde entier, l'image de Coca-cola est celle d'une compagnie qui produit des boissons gazeuses en réponse aux désirs du public. Pourtant ces boissons contiennent de la caféine, du sucre et de l'acide phosphorique – des substances néfastes pour les dents. Elles sont vendues dans des bouteilles non consignées et non biodégradables, représentant un danger pour l'environnement.
Les faits donnent à penser que l'acte productif ne se justifie pas partout et en toutes circonstances. «Aujourd'hui nos rues sont de plus en plus encombrées par la circulation, nos réfrigérateurs regorgent de nourriture et nos armoires de vêtements ; tant et si bien que la production de la société paraît de plus en plus superflue...». (2) Ce constat alarmant, formulé il y a plus de trente ans, n'est-il pas toujours d'actualité ?
Le marketing aurait donc des «effets secondaires» contestables : les sollicitations persuasives ou sous pression, le conditionnement de masse, la prolifération de produits inutiles, les excès de glucides et de lipides, le gaspillage inquiétant des ressources non renouvelables... Tout compte fait, en matière de déontologie, les responsables du marketing ne jouissent pas d'une bonne réputation. L'image négative tient aux pratiques moralement contestables adoptées par la profession et surtout au fait que l'activité marketing est la seule qui soit perçue directement par le grand public. Comme le relève Helfer, «on, assimile tellement aisément marketing et commerce, marketing et publicité que les éléments les plus voyants de toutes les actions de l’entreprise sont facilement pris comme emblèmes de ce qu’il convient de ne pas faire». (3)
Autour de nous, les exemples sont légion. Les opérateurs de téléphonie axent leurs campagnes de promotion sur des données floues ou incomplètes. Telle marque de shampooing, pour accroître la quantité consommée, recommande de se laver les cheveux deux fois consécutives. Telle autre multiplie les références alors que quatre pourraient suffire à satisfaire tous les types de besoin. Il vous en coûtera de lire l'étiquetage d'un paquet de biscuits : le texte est microscopique et le poids est dissimulé sous le pli de l'emballage.
Partout au Maroc, le défaut d'affichage des prix est à l'origine de malentendus et tromperies permanents. Dans les grandes surfaces, presque tous les prix affichés se terminent par 9 ou/et par les décimales 95 ou même 99. Cette pratique, très répandue (appelée odd pricing), a pour but de maquiller le prix, de camoufler le seuil auquel le consommateur est censé renoncer à l'achat. De plus, il n'est pas rare que le prix requis à la caisse soit plus élevé que celui indiqué en rayon. (4) Par ailleurs, un distributeur de matériel informatique comme Surcou affiche ses prix hors taxes sur les panneaux, mais s'arrange manifestement pour que les lettres HT ne soient pas visibles. Les clients potentiels, habitués aux prix TTC, se trompent à tous les coups. Une fois dans le magasin, on leur dira bien que le prix est hors taxe, mais ils seront déjà "ferrés" (attrapés à l'hameçon).
De là, quantité de questions viennent à l'esprit : si le marché renvoie à l'idée de souveraineté du consommateur (comme l'enseigne la théorie de l'économie de marché), comment expliquer les situations innombrables de mécontentement et de frustration ? Les gens ne sont-ils pas instamment poussés à acheter des produits quasiment inutiles ou même nocifs ? La libre concurrence peut-elle réussir à éliminer ceux qui trichent, qui se livrent à des dissimulations frauduleuses, qui trompent le consommateur ? Une entreprise qui répond strictement à des besoins individuels agit-elle dans l'intérêt de la collectivité ?

Vers un marketing éthique
A une époque de standardisation à outrance et de propagation de désirs socialement néfastes, on a commencé à s'interroger sur le bien-fondé de l'optique marketing. On a pris conscience qu'elle ne tient pas compte de l'antagonisme latent qui peut exister entre l'acte d'achat et l'exigence du bien-être individuel et collectif. L'objectif de production ne recouvre pas, tant s'en faut, celui de la satisfaction des besoins sociaux. Ainsi, l'action marketing semble opposée à l’esprit d'éthique, comme si ces deux impératifs étaient inconciliables…


Le concept de marketing sociétal est né de ces préoccupations. C'est une optique relativement récente qui consiste à satisfaire les désirs du marché cible, tout en préservant et en améliorant le bien-être du consommateur ainsi que celui de la collectivité dans son ensemble.
Selon les tenants de cette approche, la mission de l'entreprise n'est pas seulement de produire des biens et services, de satisfaire les besoins des clients (compte tenu de la rentabilité attendue), mais également de respecter leur intérêt. Une chaîne de télévision généraliste, pourrait-elle privilégier les feuilletons légers et les émissions de divertissement si les préférences apparentes de la masse de téléspectateurs vont dans ce sens ? Pourrait-elle négliger sa mission de répondre aux aspirations (latentes) de la population en matière d'information, de culture et d'éducation ?
Le marketing sociétal est une optique ambitieuse, un grand défi. L'idée est désormais de considérer l'aspect conflictuel des désirs humains. Il n'est que de voir de nos jours la tendance à satisfaire la gourmandise (chips, friandises...) au détriment d'une alimentation saine, à fabriquer des voitures puissantes à moteur diesel au détriment de la sécurité routière et du cadre de vie. Vu les prouesses réalisées en matière de performance et de confort, l'automobiliste n'est-il pas porté à moins de prudence et de retenue ? Les nouveaux véhicules atteignent des vitesses de plus de 200 km/heure et les utilisateurs – convaincus d'être protégés par une technologie de pointe – ont tendance à s'inscrire dans une logique de compétition.

Le fast-food satisfait le besoin d'une nourriture rapide, parfaitement propre et bon marché, mais les hamburgers contiennent beaucoup de calories et de graisses saturées. Les mets servis dans les restaurants McDonald's, en particulier, sont contestables d'un point de vue diététique. D'aucuns pensent qu'à la longue ils sont néfastes pour la santé. Aux Etats-Unis, où 40 % de la population souffre d'obésité et d'autres maladies liées à l'alimentation, le leader mondial de la restauration rapide est très critiqué. On se rappelle qu'en 2004, sous la pression des nutritionnistes et des associations de consommateurs, il avait décidé de supprimer ses menus les plus copieux (portions géantes de frites et de boissons sucrées) dans ses 13.600 restaurants locaux. Bien avant cela, en 2002, il avait affiché sa volonté de contribuer à «un style de vie équilibré», en introduisant des laitues, des yaourts et des salades de fruits. Un jour viendra vraisemblablement où le nombre de calories sera indiqué sur les menus...
Autant dire qu'il ne s'agit plus de flatter «le vice» mais de conforter «la vertu». Un mouvement de moralisation des affaires semble prendre naissance. L'entreprise qui se préoccupe normalement des désirs des consommateurs et des conditions de rentabilité ne saurait sacrifier les intérêts de la société dans son ensemble. La satisfaction des individus doit répondre à une sorte d'optimum collectif. Autrement dit, il s'agit de tenir compte des intérêts à la fois du consommateur, du producteur et du citoyen.
Pour remplir leur rôle traditionnel, les industriels doivent encore sauvegarder les richesses naturelles de la collectivité, contribuer à l'amélioration de la qualité de vie, aller dans le sens de l'épanouissement des hommes... Le propos semble prendre une allure romantique, mais il ne faut pas s'y tromper. La notion d'écotourisme (ou tourisme durable) est née de ces préoccupations en matière d'éthique, de respect envers les milieux naturels et les communautés. L'idée en principe est de répondre à la fois aux besoins des touristes et à ceux des sociétés qui les accueillent. (5)
L'entreprise s'efforce donc d'atteindre ses objectifs, tout en assumant une certaine responsabilité sociale. Le bien-être individuel et collectif, la contribution à la situation de l'emploi, au développement des compétences, à la lutte contre la pauvreté sont aussi son affaire. En 2009, Jet Sakane était le premier promoteur immobilier marocain à recevoir le label CGEM pour la Responsabilité Sociale de l’Entreprise… Les opérations humanitaires sont légion dans les secteurs de la grande distribution, des produits d'hygiène, de la banque, des produits pharmaceutiques, de la téléphonie, de l'informatique, des produits alimentaires, du ciment. (6) Bien que les campagnes caritatives ne soient pas totalement désintéressées, les divers intervenants témoignent d'un esprit d'éthique, de la volonté d'adhérer aux préoccupations sociales et économiques du pays. 
En fait, si l'éthique trouve son terrain d'expression le plus sensible dans le social et l'écologie, elle offre de larges opportunités dans la relation avec le client. Comment celle-ci pourrait-elle réellement faire abstraction de la morale et l'honnêteté ? «En pratique, les décisions ne sont jamais neutres et les valeurs morales sont indispensables au bon fonctionnement de l'entreprise. En effet, la plupart des relations d'affaires exigent la confiance. Et quel serait l'intérêt de la publicité si presque tous les annonceurs mentaient ?» (7)

Le marketing, regardé en surface comme un ensemble de techniques, est avant tout une démarche, un état d'esprit, une philosophie managériale. Il ne se réduit aucunement à des moyens de conquête de marché… Tout bien considéré, il est appelé à faire face à la montée de l'amoralité du monde des affaires. Il en va de sa crédibilité comme de la pérennité d'une relation saine et loyale avec le public cible. «Qui mieux que le marketing peut prendre en main la gestion de la réputation de l’entreprise ? Par définition, il est le garant de l’interface avec l’extérieur, simplement parce que l’extérieur c’est d’abord le client». (8)

Thami BOUHMOUCH
Novembre 2012
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(1) Cf. T. B., «Le besoin : stimulé, canalisé ou manipulé ?», in : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/le-besoin-stimule-canalise-ou-manipule.html
(2) Robert L. Heilbroner, «Les grands économistes», Seuil 1971, p. 312.
(3) Jean-Pierre Helfer, «Et si le marketing était éthique par définition ?», in : http://www.gregoriae.com/dmdocuments/2003-08.pdf
(4) Cf. T. B., «Affichage des prix : pourquoi, comment ?» in : http://bouhmouch.blogspot.com/2011/10/affichage-des-prix-pourquoi-comment.html
(5) Pour l'heure, la réalité n'est pas toujours conforme à cette vision : les exemples de dégradation des écosystèmes et de déstructuration des sociétés locales ne manquent pas.
(6) Cf. T. B., «Le marketing obéit-il à une morale égoïste ?», in : http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/le-marketing-obeit-il-une-morale.html 
(8) J.-P. Helfer, op.cit.

12 novembre 2012

LE RACISME ANTIMUSULMAN A L'HEURE DU RECUL DU DROIT



« Il y a dans notre pays, un marché de l’islamophobie. Un créneau. Une clientèle »  Denis Sieffert




Dans les pays de tradition chrétienne, les polémiques virulentes qui touchent aujourd'hui les divers courants politiques au sujet des citoyens musulmans sont hautement alarmantes. En France notamment, le traitement de la spécificité musulmane fait l’objet d’une instrumentalisation politicienne dégradante. Des rites alimentaires calomniés à la récusation du voile, du soutien quasi officiel aux caricatures insultantes à la campagne contre les prières de rue et au « grand débat sur l’islam ». Tout se passe comme si on voulait rendre l'islam invisible et inodore – voire indolore. Pour bien entériner ce climat hostile, voilà que les autorités ont décidé (avril 2011) de fermer l’IFESI (Institut français d’Etudes et de Sciences Islamiques), pour « des raisons de sécurité ».  

L'islamophobie progresse, se durcit
Ici et là, les conversions à l'islam sont légion. « C'est un fait connu qu'aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde entier l'islam est la religion dont l'expansion est la plus rapide ». (1) Y a-t-il lieu de s'en inquiéter, de se mobiliser pour y mettre le holà ?
Les grands noms du gotha de l’extrême droite européenne se rencontrent, avec l'assentiment du pouvoir, pour débattre des dangers d’une Europe « en voie de s’halaliser ». La France de Sarkozy et de Hollande vire doucement vers une islamophobie décomplexée, qui fait revenir à l'esprit les pires moments de son histoire. Les rafles au faciès et la chasse aux porteuses de foulard ne font-elles pas penser au sort subi par les Juifs sous Pétain, par les Algériens sous Papon ? Voilà que l'ultra sioniste Valls appelle à la dénonciation contre « les dérives de l'Islam ». Il « préfère menacer, interdire et réprimer. Il perpétue ainsi une logique coloniale dans laquelle deux humanités ontologiquement différentes ont des droits distincts : "liberté d’expression" pour les occidentaux, injonction au silence pour les autres ». (2) Ch. Chitour s'interroge : « Ne sommes-nous pas en train de voir se profiler une version revue et corrigée d’un néo-maccarthysme ? ». (3)
Par les temps qui courent, les citoyens musulmans en Europe sont au quotidien l'objet de regards hostiles, de propos injurieux, de discriminations et persécutions multiples. M. Tubiana écrit : « Assignés à résidence communautaire, ils [les Français musulmans] sont toujours désignés par leur origine (immigrés de la deuxième, troisième ou, bientôt, quatrième génération) ou par leur appartenance religieuse. Les Musulmans français ou pas sont sommés de faire leur examen de conscience et de répondre de nos peurs collectives ». (4) Cette frange de la population subit une politique de deux-poids-deux-mesures impudente. Les autorités entendent poursuivre pénalement toute personne consultant un site « jihadiste », lutter contre le « prosélytisme » au sein des prisons et vont jusqu'à prohiber toute dénonciation des menées islamophobes. S'il faut, à juste titre, s’opposer avec fermeté aux exercices militaires en situation irrégulière, pourquoi accepter que des éléments d’extrême droite reçoivent un entrainement au sein de l’armée américaine pour ensuite commettre des agressions sur le sol national ? F. Hollande a dit récemment : « chaque fois qu'un juif est pris pour cible en tant que juif Israël est concerné ». (5) Et s'il s'agit d'un Musulman ?...
Le ressentiment des Musulmans est bel et bien fondé. « Pour en comprendre l’origine, il faut sans doute accepter de quitter quelques instants le confort de l’inusable référence au "salafisme" ou au "jihadisme" de cette poignée de jeunes ou de moins jeunes qui semblent vouloir claquer la porte de la République. Et considérer plus courageusement le profond déficit de représentation dont souffre la communauté musulmane de France ». (6)
L'acharnement antimusulman connaît un regain sans précédent ; il progresse, s’épanouit, s’exprime en toute bonne conscience. Tel parti politique joue la carte islamophobe pour monter dans les sondages. On est au Front national parce que, pour l'essentiel, on est contre les Musulmans. « Les propos qu’on tenait sous le manteau il y a quelques années émergent aujourd’hui dans la sphère publique ». (7) La porte est grande ouverte à la surenchère. Dans cette escalade, il faut voir le résultat de dix ans de banalisation d’un discours de rejet et de haine.
En France, selon les chiffres communiqués par le baromètre annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il y a eu en 2011 une « hausse de la méfiance à l’égard des Musulmans » : 51 % des sondés ont estimé que les Musulmans formaient « un groupe à part » (+ 6 points par rapport à 2009) et 59 % qu’il y avait trop d’immigrés en France (+ 12 points). (8) Un biais insidieux altère immanquablement les résultats obtenus. Parler de « communauté musulmane », c'est suggérer que les Musulmans n’appartiennent pas, ou pas vraiment à l'entité nationale. Demander à l'enquêté si « la présence musulmane est-elle plutôt une menace ? », revient à l'inquiéter, à jeter le trouble et donc à donner corps à ladite menace. Ainsi, les sondages peuvent indubitablement susciter les partis pris et la ségrégation.
Considérons le cas du visa Schengen. Les critères effectifs de choix des pays relèvent bel et bien de l’islamophobie institutionnelle. Sont dispensés du visa les « pays amis », ceux de peuplement blanc et réputés chrétiens. L'Europe entend se préserver de l'ébranlement des identités nationales par un « islam conquérant » (comme d'ailleurs par une « négritude envahissante »). Selon E. Miguel, « l’idéologie du visa Schengen […] est une idéologie de guerre. Elle constitue un nouveau syndrome des fléaux et crimes contre l’humanité, dont historiquement est coutumière l’Europe comme l’inquisition ou autres guerres de religions, l’esclavagisme transatlantique, le colonialisme, l’impérialisme, les guerres mondiales, les pogroms, les déportations… ». (9)

Tartufferies, perte des valeurs
L'animosité et la malveillance à l'égard de « ces gens qui ne sont pas comme nous » persisteront tant qu’on n’aura pas mis le doigt sur la source principale du problème : l'ignorance. Comment s'y prendre avec des opinions publiques désinformées, souvent fanatisées ? Comment expliquer que l’intégrisme est un contre-exemple de l’islam, que les signes extérieurs ne sont pas le substrat religieux ? V. Geisser affirme : « Aujourd’hui, l’islam n’est plus considéré comme l’ennemi de la chrétienté mais plutôt comme l’ennemi de la modernité, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, etc. Nous sommes passés d’une peur ancienne à une peur moderne, d’un racisme avec des présupposés religieux, à un racisme avec des présupposés dits modernistes. » (10) On s'adresse au Musulman avec arrogance, comme s’il ne pouvait accéder à la dignité que s’il s’occidentalise sans conditions.
De plus en plus, les gens se lâchent, sont prêts à dire tout et n’importe quoi sans tabous. Il en est ainsi de ce jugement à l'emporte-pièce : « le problème c’est que ces pays [musulmans] ne sont jamais libres tant qu’ils se réfèrent à l’islam, car l’islam porte en lui le germe de la soumission. On ne peut pas être libre et soumis en même temps ». (11) Mais E. Dermenghem fait état d'un autre son de cloche : « Dire "Dieu est le plus grand", c'est fermer la porte à toute servitude. C'est se proclamer et se réaliser fondamentalement libre ». (12) L. Gardet, dans ce sens, disait il y a trente ans : « La remise active de soi à Dieu, sans réserve et en toute confiance, qui est le sens le plus vrai et le plus intérieur du mot islam lui-même, peut et doit être comme un ferment sans cesse activé d'humanisme musulman. Vouloir s'aligner sur une certaine notion moderne de l'exercice de la liberté, conçue comme une liberté sans frein et sans limite, pour le mal comme pour le bien, serait pour la pensée musulmane se renier elle-même. Quand Dieu n'existe pas, tout est permis… ». (13)


En France, en janvier dernier, une proposition de loi a été votée au Sénat, visant à priver de travail les assistantes maternelles de confession musulmane. Une nouvelle attaque contre une catégorie de population a lieu sous couvert de « laïcité » et de « neutralité ». L'argument est mis en avant curieusement dans une république où les attributs de l’Eglise ont été laïcisés (dans les 11 jours chômés de l’année, 9 sont à caractère religieux). 
La grande Europe a peur des petites filles voilées ; un morceau de tissu la met en émoi…Qu'importe que les personnes concernées aient raison ou pas de se couvrir la tête ? A cet égard, une précision s'impose : nulle part dans le Coran, il n’est fait explicitement mention de voile (hijab) recouvrant le visage, cachant les cheveux (encore moins tout le corps). M. Kacimi en dit ceci : « Cette croyance était si répandue dans les pays d’Orient, notamment en Mésopotamie, qu’elle a fini par avoir force de loi. Aussi, le port du voile est-il rendu obligatoire dès le XIIe siècle avant J.-C. […]. Il faudra attendre l’avènement du christianisme pour que le voile devienne une obligation théologique, un préalable à la relation entre la femme et Dieu ». (14)
Dans le contexte actuel, lorsqu'on parle de laïcité, il faut souvent comprendre islamophobie. Désormais, l'imposture est manifeste.  Non seulement l'argument a l'air imparable, mais il drape la xénophobie d'un halo de respectabilité. Le site Afrik.com a posé la question de savoir si la finance islamique est « une atteinte à la laïcité ». Z. Ben Terdeyet a répondu : « Généralement, ses détracteurs n’ont aucune connaissance du sujet et focalisent sur le mot "islamique" qui a été galvaudé en France. C’est une manière de faire de la finance autrement. Elle s’adresse à tous les Français, sans aucune distinction quant à la religion, l’origine ethnique ou sociale. Elle entre uniquement dans la sphère privée du citoyen en tant que nouveau choix de mode de consommation, car de quoi parle-t-on finalement ? Il s’agit de proposer des produits de financement pour l’accession à la propriété ou l’achat de biens de consommation tels que la voiture ou l’électroménager ». (15)
L'hostilité islamophobe se niche derrière un autre argument : « la défense de la liberté d'expression ». Encore là, les tartufferies sont flagrantes. En France notamment, que dit la loi de 1905 ? « Elle dit que nous sommes libres. Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la renier dans la sphère publique. Libres de s’habiller comme il nous plait, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite ». (16) Manifestement, on est loin du compte… La « liberté d’expression » chantée par les médias occidentaux est perçue, de plus en plus et à juste titre, comme la liberté d’insulter l’islam et les Musulmans. Sinon, quel sens a-t-elle, dans un Etat de droit, lorsqu'elle sert de prétexte à la stigmatisation et à l’incitation à la haine religieuse ?

Le racisme antimusulman, notamment en Europe, est aujourd'hui le symptôme d’une société qui va mal. Ce qui est en jeu, tout compte fait, c’est la démocratie, pas seulement le sort des Musulmans. Comme le note M. Cherif, « l’islam réintroduit le débat de fond, celui sur la question du sens et de la justice, dans une société qui a besoin d’équilibre, car malgré les prodigieux progrès technoscientifiques se profile la déshumanisation. C’est l’ère de la dégradation intellectuelle, du recul du droit, de la crise de la modernité européenne ». (17)

Thami BOUHMOUCH
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(7) Vincent Geisser (entretien), http://www.michelcollon.info/Vincent-Geisser-Lutter-contre-l.html   Juin 2011
(10) Vincent Geisser (entretien), op. cit.
(12) Emile Dermenghem, cité par Marcel Boisard, in Marc Agi (sous la dir.), Islam et droits de l'homme, éd. Des idées et des hommes, éd. Des idées et des hommes, 2007, p. 67. 
(13) Louis Gardet, Ouvrir les frontières de l'esprit, in Marc Agi, op. cit., p. 112.
(15)  Zoubeir Ben Terdeyet (entretien), http://www.afrik.com/article19443.html  Avril 2010.