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5 mars 2012

LE MARKETING GAGNE LES CHEMINS DE FER



L'exemple du transport ferroviaire au Maroc est assez caractéristique. Le rappel de quelques faits majeurs me semble nécessaire pour bien comprendre.
1995 est une date marquante : l'ONCF est au bord de la faillite et entreprend une vaste opération de restructuration. Il s'est trouvé rapidement face à un défi décisif, celui de s’écarter du domaine public qui l’immobilisait et d'évoluer vers une entreprise rentable, tournée vers le client.
Jusqu'à cette date, outre la mauvaise gestion des ressources humaines, la contrainte commerciale a toujours été laissée de côté. L'inadaptation de l’offre était ainsi manifeste : les trains voyageurs étaient en grand nombre et les arrêts multiples dans des gares peu fréquentées. Si bien que le taux d’occupation ne dépassait pas 31% (61% en 1983), alors que près de 30% des trains généraient à peine 1% du chiffre d'affaires. A cause de la voie unique, les trains « rapides » pouvaient enregistrer jusqu’à 2 heures de retard. De plus, les jets de pierre contre les trains dans de nombreux points de passage accentuaient les désagréments et le mécontentement (un problème toujours d’actualité aujourd’hui).

Volonté d’adaptation aux changements
Les carences commerciales, notamment l'accueil clientèle et la qualité du service, pesaient de plus en plus lourd dans la balance. Le déficit d’image était alarmant. L’Office se devait de se repositionner sur le marché. La voie du salut passait bel et bien par un changement de culture.
De nos jours, partout dans le monde, les chemins de fer sont directement touchés par la globalisation et la concurrence. C'est bien ce qui ressortait déjà des assises du congrès ferroviaire tenues en octobre 1997 à Marrakech. Désormais, il est question d'adaptation aux changements et de gestion moderne du rail. (1) Il s'agit de chercher la meilleure approche du marché, en tenant compte essentiellement des besoins fondamentaux des clients. Le règle de conduite s’énonce ainsi : « Dans l'optique marketing, la vocation d'une compagnie ferroviaire ne se définit pas par sa seule expertise technique – faire rouler des trains – mais par sa capacité d'adaptation aux besoins à satisfaire et qui peuvent être variés selon la clientèle : vitesse et ponctualité pour les hommes d'affaires, tarifs accessibles pour les familles, accueil et service pour les touristes, livraison porte-à-porte pour le fret des entreprises, etc. ». (2)
L’ONCF s'est donc résolu à créer une direction commerciale et entreprend, dans le cadre de sa stratégie (adoptée en 1995), d'adapter son offre en matière de transport de voyageurs et de marchandises. La reconquête des clients devient la préoccupation majeure. La vente directe des produits (porte-à-porte auprès des entreprises) est à l'ordre du jour. En 1996, 350 entreprises sont démarchées et, de là, des milliers de tonnes de trafics nouveaux sont enregistrés.
La nouvelle vision s'appuie sur la diversification des produits. C'est ainsi que sont proposés des cartes jeunes, des cartes fidélité, des billets week-end, des carnets à coupons, des trains « promo » (réductions en fonction du trajet), des tarifs promotionnels pour le fret, etc. Les horaires sont adaptés aux souhaits et besoins évolutifs des voyageurs, lesquels commencent à être consultés lors des sondages réalisés dans les trains. La communication n'est pas négligée : des journées portes ouvertes, notamment, sont programmées dans les principales gares.

Dès 1999-2000, le changement est patent : alors qu'auparavant la moindre demande de renseignement par téléphone était perçue comme un calvaire et un acte désespéré, l'ONCF dispose désormais d'un site web et d'un call center (Kétary). Le client peut ainsi s'informer rapidement et même vraisemblablement exprimer son opinion.
La situation n'est certes pas féerique : des coupes substantielles ont dû être opérées et l'assainissement s'est fait parfois au détriment du personnel (pertes d'emplois, conflits, tracas divers). Sur le terrain, la plupart des agents ne sont pas à même d’intégrer le souci du client dans leurs gestes quotidiens. Outre que de nombreux voyageurs restent debout sur de longues distances, lorsque les trains s'arrêtent en cours de route, aucune explication n'est communiquée. Qui plus est, la maintenance du réseau ferroviaire laisse à désirer, de nombreuses locomotives sont en panne dans les dépôts et des sommes considérables sont dépensées dans des projets douteux. Cela signifie tout simplement que l'inertie des « habitudes » ne peut être surmontée du jour au lendemain et que le chemin est encore long.
Pour autant, le pari sur le marketing est maintenu. La dynamique amorcée a donné tant bien que mal ses fruits et les efforts de reconquête des clients se poursuivent. En 2000, l’ONCF se dote d’une base de données et met en œuvre une application datawarehouse, afin d’organiser l'information dédiée à sa Direction commerciale et marketing. Dans la foulée, pour simplifier le partage et l’exploitation des données disponibles, un Intranet est créé. Les nouveaux dispositifs permettent, entre autres, d’analyser les ventes voyageurs d'une manière systématique et performante. Ils s’appuient sur des outils Microsoft, bien adaptés en termes de volumétrie et de rapidité de restitution. (3)
L'arrêté signé en 2002, libéralisant les tarifs du rail, est venu affermir l’orientation adoptée. La tarification devient de fait plus souple et plus modulable. Cela permet de lisser la demande en tenant compte des « creux », de lutter plus ou moins à armes égales contre la concurrence indirecte relative au transport des marchandises (secteur informel surtout).
L’année 2002 est aussi celle où l'Office s'est engagé à mettre en œuvre un Plan d'Action Qualité (PAQ) conformément aux normes ISO 9000. Un communiqué rendu public dans la presse explique la décision : « En optant pour le PAQ, l'ONCF veut se démarquer des autres modes de transport par la réalisation d'une prestation de haute qualité qui répond aux attentes des clients en matière de confort, de régularité et de sécurité ».
Qu’en est-il depuis lors ?

Le souci du client
Aujourd’hui, l’ONCF affûte sa ligne stratégique, ce qui n’est pas pour déplaire au client. Le centre d'appel Kétary continue d'informer le grand public de l'état du trafic. Le taux d’occupation des trains qui était de 31% en 1994 est passé à 58% en 2006.
Engagé dans une dynamique de croissance, l'Office entend disposer d'une plus grande marge de manoeuvre dans la conception de son offre et se dote pour cela des outils nécessaires. Le système tarifaire était fortement handicapé par une formule de calcul figée et non dégressive. Il s’agit maintenant de « moduler », c’est-à-dire appliquer une tarification différenciée selon le profil socioéconomique des clients ciblés, les zones desservies, les horaires et les grands événements saisonniers.



L’Office s’investit dans une politique de renforcement de l’offre et d’instauration d’un système de qualité totale (« Horizon 2010 »). Il instaure, à cet effet, un « baromètre qualité », consistant à mener périodiquement (deux fois par an) des études de satisfaction afin de détecter les zones pénalisantes de non-qualité. La première étude, réalisée en 2005, a relevé la nécessité d’améliorer le dispositif de sonorisation, la propreté des installations et la ponctualité. Cette année-là, le taux de ponctualité des trains a atteint un record de 90,3%, en hausse de 6 points par rapport à 2004. (4)
En 2009, une nouvelle offre commerciale est conçue pour adapter en permanence les produits ferroviaires aux besoins évolutifs des clients, pour assurer davantage de fréquence et de confort des trains. Près de 17 gares dites de « nouvelle génération » sont mises en place (Salé Ville, Nador, Safi, Youssoufia, Fès, Mohammedia, Rabat Ville, aéroport Mohammed V). Les voyages se font de plus en plus dans des temps réduits et à bord de voitures où nombre de commodités sont réunies. 174 sillonnent le réseau par jour, au lieu de 136 en 2002.
Tout récemment, pour dynamiser l’offre et offrir aux clients des avantages exceptionnels, l’ONCF lance 3 nouvelles cartes. La Carte Chabab, destinée aux clients âgés de 12 à 26 ans, offre la possibilité de voyages illimités avec  des réductions allant jusqu’à 50%. La Carte Hikma, offrant les mêmes avantages, est réservée aux personnes âgées de 60 ans et plus. Enfin, la Carte Rails Pass, destinée aux touristes étrangers et aux MRE, offre une libre circulation sur les lignes nationales durant la période choisie par le client. (5)
Pour ce qui est de la maintenance du matériel roulant, les activités non liées au métier de base (nettoyage, gardiennage, etc.) sont externalisées depuis plusieurs années. Il s’agit en fait de « filialisation », censée permettre de garder le contrôle. Résultat : avec 3 fois plus d’activités, l’Office fonctionne aujourd’hui avec 7.800 personnes contre environ 20.000 auparavant. Cette orientation concerne également les caténaires alimentant les trains : plus de 50% de cette activité sont assurés par des entreprises privées, le reste est traité en interne. (6)
L’objectif de satisfaction du client ne saurait être atteint sans la participation résolue du personnel. Les salariés, rappelons-le, sont censés créer de la valeur pour les clients externes. C'est une pièce maîtresse dans le puzzle de la démarche marketing. La satisfaction du client externe est un but qui ne peut être atteint que par la participation active de tous les employés. (7) Les dirigeants décident donc d’abandonner le statut traditionnel fondé sur les échelles et l’ancienneté en faveur d’un système orienté performance. L’idée est de garantir l’implication des cheminots dans l’amélioration du service offert.
L’Office a bouclé l’année 2010 avec un chiffre d’affaires de 3,09 milliards de dirhams en progression de 23%. Le résultat d’exploitation a doublé et la capacité d’autofinancement s’est améliorée de 66%. Celle-ci est à 1,2 milliard de dirhams contre 723 millions en 2009. Le directeur de l’Office affirme : « Le modèle économique de l’ONCF est assez particulier dans ce secteur. Ailleurs, l’investissement, l’extension du réseau et la maintenance sont à la charge de l’Etat. Dans notre modèle, nous arrivons à dégager une capacité d’autofinancement qui nous permet de prendre en charge partiellement nos investissements ». (8)
Longtemps attendue, la transformation de l’ONCF en société anonyme ne va pas tarder à se réaliser (le capital de la future SMCF sera détenu à 100% par l’Etat). Cette décision donnera lieu sans doute à d’autres mesures, mais il s’agira toujours de valoriser les besoins et attentes des clients tout en se préoccupant de la rentabilité.

Thami BOUHMOUCH
Mars 2012
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(1) Notons au passage que les activités de l’ONCF ne se limitent pas au transport ferroviaire. C’est le premier transporteur routier de voyageurs en continuation des trains dans la zone sud (la société concernée, Supratours, vient de lancer en plus de nouveaux pôles relatifs à la gestion de parkings et de centres de vacances). L’Office, à travers sa filiale Carré, intervient dans le transport routier en continuation du fret ferroviaire et opère également dans la messagerie. Il dirige la filiale SBM (Société des basaltes marocains) et détient 64 % de l’hôtel Mamounia. Voir : http://www.leconomiste.com/article/le-dg-de-l-oncf-au-club-de-l-economiste  03/02/2011
(2) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator, Dalloz.
(7) Cf. T. B., « Le premier client marketing est à l’intérieur de l'entreprise » in http://bouhmouch.blogspot.com  


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